LETTRE

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"Ma chère petite Joyce,

Tu es paisiblement endormie dans ton berceau alors que je t'écris cette lettre. Si tu la reçois, c'est que je ne suis plus là. La première chose que je veux que tu saches, c'est que tu n'es en rien, responsable de la décision que j'aurais prise. Tu es la plus belle petite fille que j'ai vue de toute ma vie et je ne voudrais pas que tu te sentes coupable de quoi que ce soit.

Mais tu vois, des fois, la vie ne se passe pas comme on le souhaiterait. Ça a souvent été mon cas. Je me souviens encore, deux ans avant ta naissance, je sortais du lycée et je n'avais aucune idée de ce que je voulais faire de ma vie. J'étais à un stade où je me sentais perdue, je n'avais aucun but, plus rien n'avait de sens pour moi. J'ai alors décidé de tout quitter: mes parents, ma soeur, cette ville, ... en pensant que ça me permettrait de me retrouver. J'ai eu tort, tout ce à quoi ça m'a mené c'est un vide continuel que je n'arrivais plus à supporter. Je ne ressentais rien, même plus cette souffrance que me procurait ce creux en moi. L'idée de mettre un terme à mon existence ne cessait de me tourmenter l'esprit. J'étais prête à y mettre fin.

Et c'est quand je pensais vivre mes derniers instants, que j'ai rencontré ton père. Il ne savait pas que s'il n'était pas venu me parler, sur ce quai, ce jour-là, je me serais jetée sur les rails du prochain train. Nous avons discuté du voyage qu'il s'apprêtait à faire toute la soirée. Il disait chacune de ses phrases avec tellement d'ambition que ça m'a donné envie de donner une seconde chance à la vie. Je ne l'ai plus jamais quitté, je l'ai suivi dans toutes ses aventures. J'avais l'impression de revivre durant ces deux années passées à ses côtés.

Nous étions jeunes, il nous restait encore des tas d'endroits à découvrir. Nous ne nous attendions pas du tout à t'avoir si tôt. Je ne pouvais qu'être heureuse quand je l'ai appris, mais je savais que ta venue contrarierait ton père. Il avait des projets plein la tête et l'arracher de son rêve m'était impensable. Je lui ai annoncé la nouvelle, je voyais à quel point il était partagé entre rester avec sa nouvelle famille et partir pour le meilleur voyage de son existence. Nous avons finalement convenu qu'il continuerait d'explorer le monde, tandis que nous l'attendrions ici, à Saint-Amant, chez ma soeur. Il a promis de revenir au bout de cinq ans.

Nous nous sommes quittés à la gare, là où tout a commencé. Tout ce que nous avions construit, s'est écroulé ce soir-là. Il ne me restait plus rien.

J'ai essayé de croire en cette relation à longue distance. Nous arrivions à rester en contact les premiers mois. Mais plus les mails se faisaient rares, plus je me sentais brisée. J'ai pris du temps à me remettre de cette séparation. Comme prévu, je suis retournée chez ma soeur qui m'a accueillie à bras ouverts. Figure-toi qu'elle était aussi enceinte quand tu continuais de grandir en moi.

Les mois défilaient, je n'avais plus aucune nouvelle de ton père et les disputes s'accumulaient entre ma soeur et son fiancé à cause de notre présence. Je me sentais de trop, comme si je n'étais pas à ma place. C'était une dure période. J'essayais de trouver des jobs à gauche et à droite afin de nous payer un appartement. Heureusement, l'atmosphère s'est détendue quand ta cousine est née -deux semaines avant toi. Entre-temps j'avais déménagé, les laissant profiter du bonheur qu'était de former une nouvelle famille. J'étais de nouveau livrée à moi-même, je ne cessais de penser à quel point j'étais incapable de t'offrir une vie si simple. Ton père me manquait énormément dans ces moments de doutes. Il aurait trouvé les mots justes pour me réconforter. J'aurais voulu me blottir dans ses bras ces nuits d'insomnies où je restais tétanisée dans mon lit, confrontée à la solitude.

Quelques temps après, tu es arrivée et tous ces cauchemars, ces larmes, cette crainte ont disparu. Tu es venue illuminer ma vie comme un rayon de soleil. Rien ne m'avait apporté autant de joie que ta naissance. C'est pour cela que j'ai décidé de t'appeler Joyce.

Un mois plus tard, je recommençais à recevoir des lettres en masse de la part de ton père. Nous faisions des appels vidéos de temps en temps pour qu'il ait l'occasion de te voir grandir tout en nous montrant des paysages à couper le souffle. La vie m'a donné une seconde bouffée d'air frais. J'ai repris espoir qu'un jour, dans un futur proche, nous pourrions être réunis à trois et vivre ensemble telle une vraie famille.

J'espère que tu trouveras quelqu'un qui te fera sourire, qui te fera oublier toutes tes peines même dans les moments difficiles et qui te rendra heureuse comme ton père l'a fait avec moi.

Ce que je veux que tu retienne de tout ça c'est que la peur ne devrait pas t'empêcher de vivre.

Vis, Joyce.

Ta maman

PS: Quoi qu'il arrive, je t'aimerai toujours et à jamais.

Deux voies opposéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant