autophobie

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"-Les psychologues appellent ça, l'autophobie."

L'adolescent fronça les sourcils, ne comprenant pas où son amie voulait en venir. Mais quoi qu'elle dise, il était prêt à l'écouter, même si son histoire devait durer toute la nuit. Il serait capable de rester là, assis sur un banc du parc, auprès d'elle pendant des heures pour mieux comprendre ce qui la faisait tant souffrir.

"-C'est la peur d'être seule. On m'a envoyée consulter l'un d'eux quand j'avais dix ans parce que je faisais des crises de panique de plus en plus fréquentes et il m'a dit que la source de ma phobie était sûrement l'abandon de mes parents biologiques, surtout celui de ma mère. poursuivit-elle.
-Tu as été adoptée?"

Elle hôcha la tête. Gauthier savait maintenant pourquoi elle ne ressemblait pas du tout à son frère.

"-Je n'ai jamais connu mon père. Il nous a quitté avant ma naissance pour retourner au Canada. Ça ne m'a pas vraiment touché, j'arrivais à vivre sans cette présence paternelle. Elle n'avait pas beaucoup d'importance pour moi vu qu'il me restait ma mère. Mais son abandon l'a gravement touché. Ça lui a laissé des blessures ouvertes, des séquelles qu'elle gardait en elle. Je l'admirais tellement, elle avait l'air d'avoir cette force et joie de vivre malgré la perte de son pilier. Je n'imaginais pas qu'en fait, derrière ce magnifique sourire, se cachait cet énorme vide dans ses yeux. Je pensais qu'elle avait vaincu sa peine en s'accrochant à moi, elle me donnait tant d'amour, j'étais la seule personne qui comptait à ses yeux. Visiblement, je m'étais trompée parce que plus les années passaient, plus elle tombait dans la dépression. Tous les efforts qu'elle avait faits, avaient disparu. Je voyais son état se dégrader, sans rien pouvoir faire. Ma maman restait enfermée dans sa chambre toute la journée, c'est à peine si je la voyais en rentrant de l'école. Elle avait décidé de briser toute communication entre nous, c'était comme si je n'existais plus. Et puis à mes neufs ans, elle a rendu l'âme en prenant une quantité importante de médicaments. Elle est partie sans rien laissé, sans rien dire à sa seule fille."

La brunette reprit son souffle. Le garçon fut étonné de la voir raconter son histoire sans aucune émotion. Il croyait qu'elle s'en arrêterait là, qu'elle ne serait pas capable d'en dire davantage, submergée par les souvenirs.

"-Les mois qui ont suivi, je les ai passés chez ma tante, en compagnie de Maia. Elle prenait soin de moi, comme si j'étais sa propre fille. Elle me donnait tout l'amour que j'avais perdu. J'avais retrouvé une certaine confiance en moi. Tout allait en quelque sorte pour le mieux mais je savais que ce bonheur ne durerait pas infiniment. Avec le salaire qu'elle avait, il était impossible pour ma tante de garder trois enfants sous ses bras. Elle n'avait pas d'autres choix que de m'envoyer à l'orphelinat. Elle venait me voir régulièrement mais ça ne retirait pas le fait que mes doutes revenaient. J'étais en permanence livrée à mes pensées. Je me posais de nouveau des questions au sujet de ma mère, ne comprenant pas la raison qui l'avait poussé à se suicider. Je n'étais sûrement pas assez bien, pas assez suffisante pour la maintenir en vie. Elle a préféré s'en aller, comme mon père, au lieu de rester à mes côtés. Je ne m'étais jamais sentie aussi seule. En voyant tous ces enfants partir un à un, j'avais peur de ne pas trouver une famille qui saurait m'aimer. Ma phobie ne faisait que se développer. Quand on m'a adoptée un an plus tard, bien que ça avait été difficile de s'adapter, je pensais avoir vaincu ma peur mais on dirait bien qu'elle est revenue...
-Jo' pourquoi tu te sens encore si seule?"

La jeune fille resta silencieuse un instant. Elle tourna sa tête vers Gauthier pour le regarder. Elle se mordit la lèvre inférieure, elle hésitait à lui répondre. En réalité, elle ne savait pas comment lui expliquer son sentiment de solitude et elle avait peur qu'il ne la comprenne pas. Mais dès qu'elle croisa son regard réconfortant, elle se souvint qu'elle pouvait lui faire confiance.

"-Peut-être parce que j'ai l'impression de ne pas me sentir à ma place, d'être l'élément en trop, de ne plus avoir d'importance pour qui que ce soit. Je suis invisible aux yeux de tout le monde. C'est vrai, mes parents ne se préoccupent plus de moi, mon frère passe son temps dans ses livres ou avec ses amis, Maia ne me comprend plus, ... Ils s'éloignent de moi et j'ai peur de les perdre. Toi aussi, Gauthier... Tu m'as laissée... Et je n'ai..."

Sa voix se brisa. Joyce ne put achever sa phrase. Des larmes ruisselaient le long de ses joues. C'était la première fois qu'elle révélait ce qui lui pesait sur le cœur et maintenant qu'elle s'entendait le dire, elle refoula toutes ces émotions qu'elle avait tant voulu étouffer. Elle éclata en sanglot devant le châtain, troublé de la voir si vulnérable, si fragile. Il l'avait déjà vu de nombreuses fois triste mais jamais il ne l'avait vu pleurer.

"-Je suis désolé. murmura-t-il en la prenant dans ses bras."

Joyce se sentait apaisée. Elle venait de se libérer d'un poids énorme. C'était le début de la guérison de cette douleur que lui procurait son passé sombre. Ses plaies allaient enfin pouvoir être pansées après tant d'années.

Deux voies opposéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant