Trois heures quarante-sept, il faisait nuit. Seule la lune, en passant à travers les volets fermés, émoussait cette mer d'obscurité. Aucun bruit. Rien, mis à part le perpétuel (mais discret) tic-tac de l'horloge du couloir. Mais tout d'un coup, une musique se fit entendre. Recommençant une, puis deux, puis trois fois, il semblait s'agir de la sonnerie d'un téléphone. Alors que cette mélodie rompait peu à peu le silence qui berçait la pièce, une main fatiguée et maladroite tenta tant bien que mal de saisir l'objet pour le faire taire.
L'appareil vint éclairer le visage d'Éris. De ses yeux éteints, elle fixait l'écran pour savoir qui pouvait bien l'appeler à une heure pareille. « Mais oui, évidemment ! » Qui d'autre que monsieur Oliviard, son patron, pouvait chercher à la joindre ? Connaissant son caractère exigeant, voire même sévère, il valait mieux ne pas le faire attendre davantage.
— Inspectrice Éris à l'appareil, j'écoute, soupira-t-elle.
— Il faut que vous veniez de toute urgence, s'exclama son interlocuteur.
Elle demanda ensuite où se rendre et ne reçut qu'une réponse approximative, puis l'appel prit fin. De toute évidence, cela semblait important, ou c'est du moins ce qu'elle espérait : il n'y avait rien de pire que se faire réveiller au beau milieu de la nuit pour rien. Quoi qu'il en soit, le temps pressait. Elle se leva, se frotta les yeux et s'habilla.
En passant devant la cuisine, ses yeux se fixèrent sur son réfrigérateur. Dans le silence de la pièce, on entendit son ventre gargouiller. Elle avait faim, c'était évident, elle avait tout le temps faim ! Par chance, elle jouissait d'une physionomie que beaucoup d'autres femmes envieraient : elle pouvait manger ce qu'elle désirait et autant qu'elle voulait sans que sa fine silhouette en soit altérée. Mais le moment de déjeuner était mal choisi. Elle se saisit de son manteau et sortit. Dehors elle hâta le pas. Non pas parce qu'on l'exigeait d'elle, mais simplement parce qu'il faisait froid. Plus vite elle serait dans sa voiture, mieux elle se porterait. Ni une ni deux, elle sortit les clefs de sa poche, ouvrit son véhicule et s'assit.
Le chauffage enclenché, elle se demandait parfois si elle avait fait le bon choix, si la carrière de détective n'était pas trop exigeante, contraignante, ou encore difficile. Son patron, par exemple, était l'archétype même de l'austérité. Après tout c'était bien à cause de lui qu'elle n'avait pas sorti le fameux « Encore cinq minutes » au moment de se réveiller : avec lui, aucun retard n'était permis. Sans compter le fait que ces quelques minutes (innocentes au premier abord) avaient souvent tendance à se rallonger jusqu'à se confondre avec les heures dans certains cas. Mais les horaires n'étaient pas ce qu'il y avait de pire. La chose qui l'effrayait sans doute le plus était la confrontation avec un criminel. Comment des personnes, à l'allure ordinaire, pouvaient-elles commettre les pires atrocités ? Après tout, tous ont une vie, une histoire, des proches qui les aiment. Et malgré tout, certains arrivaient à les considérer que comme du gibier, de la viande qui bouge trop, qui dérange trop et qu'il faut abattre.
La route était déserte et les rues calmes. À cette heure-ci, tous étaient encore dans les bras de Morphée. Seuls quelques fêtards ivres chancelant sur le trottoir étaient de sortie. Les réverbères défilaient et projetaient leur lumière ambre au sol. On aurait alors presque cru que la chaussée était jonchée de pièces d'or et que quelqu'un allait en ramasser. Mais plus le véhicule s'approchait de la destination, plus les éclats chaleureux laissèrent place à une lueur froide, hostile. « Sévelin, voilà bien un quartier dans lequel je ne voudrais jamais habiter », marmonna-t-elle tout en cherchant un accès au lieu de rendez-vous.
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Le Deux de Coeur
Mistério / SuspenseLorsqu'un proche est retrouvé mort, le doute plane et l'on se met à suspecter tout le monde. Mais le coupable n'est pas toujours celui auquel on pense. Qu'est-ce qui peut pousser quelqu'un à commettre un acte aussi horrible que d'ôter la vie à autru...