10. Comme un matin de garde

27 6 0
                                    

Thème de mars 2018 : Pourpre

C'était un soir de janvier comme les autres. Externe à l'hôpital vétérinaire, je devais commencer ma garde de nuit à vingt heures, et c'est pile dans les temps que je passai les portes de l'hospitalisation.

Je salue l'interne qui sera avec nous cette nuit, jette un œil au tableau des animaux hospitalisés et souhaite une bonne nuit à ceux de la journée qui rentre chez eux pour se reposer. L'autre externe de garde arrive un peu plus tard. Cette nuit, nous serons trois : une jeune vétérinaire fraichement diplômée et deux élèves. Alors que je m'apprête à m'enquérir du travail que nous aurions à réaliser durant la soirée, l'interne vétérinaire nous annoncent qu'il n'y aura que Pedro avec nous.

Pedro, un jeune beagle venu en révision après des semaines de soin parce qu'il s'était fait mordre par certains de ses camarades, et qui n'avait plus de médicaments depuis longtemps. C'est avec le sourire que nous prenons ses constantes rapidement et que nous le promenons. Ce qui devait être fait ce soir vient d'être terminé ; il est vingt-deux heures, cette garde promet d'être plutôt tranquille.

Nous remettons le chien dans sa cage et nous partons manger avec enthousiasme, sachant que ce soir, nous pourrons dormir un peu plus que quelques heures volées. Il ne restait plus qu'à prier pour que le téléphone des urgences reste sagement silencieux, ce que bien évidemment, il ne fit pas. Vingt-deux heures quinze : l'interne raccroche, nous informe que nous avons juste le temps de finir de manger et qu'une urgence arrive, une chienne, probablement percutée par une voiture, trouvée sur la route.

Vingt-deux heures trente, je fixe la petite chose tremblante que nous avons installée sur une table roulante pendant que les gens de l'association qui nous l'ont amenée nous font un rapide topo. Des oreilles de fennec, un museau de renard, brune comme la terre brûlée et émaciée comme le sont les lévriers, je reconnais sans mal le podenco qui se dissimule difficilement dans le mélange de ses gènes de chien errant.

Dans la détresse de son regard, on peut lire beaucoup de chose : elle a peur, elle a mal, elle n'a foutrement aucune idée de ce qu'elle fait là, et elle attend avec appréhension ce qu'il va advenir d'elle. Les gens qui nous l'ont amenée repartent tandis que nous emmenons notre patiente dans la salle d'imagerie pour lui faire passer une batterie de test.

Nous allongeons la petite chienne sur la table de l'appareil de radiographie et tentons tant bien que mal de l'étirer sans raviver sa douleur afin que l'image soit optimale sur l'écran. Elle supporte bien nos manipulations, vaillante dans la souffrance et malgré la peur manifeste des êtres humains qui semble l'étreindre. Sur son museau fin, la muselière que nous lui avons posée pour prévenir d'une éventuelle morsure semble inutile. Encore une radio, il faut tirer ses membres un peu plus afin de voir son abdomen.

Ma compagne d'infortune et moi nous exécutons doucement alors que l'interne repart enclencher la machine après nous avoir donné ses directives. Un mouvement un peu brusque, un cri qui ressemble au glapissement du renard à l'agonie en guise d'avertissement, et nous lâchons prise. La muselière a bien fait son travail : le coup de dent n'aura fait que frôler la main. La vétérinaire revient, quelques peu en panique. Tout va bien, personne n'a été blessé, mais l'objet sécuritaire est maintenant entre les dents de l'animal. Par quel moyen s'est-il détaché ? Nous l'ignorons mais nous laissons tout de même notre patiente se calmer en mâchonnant le plastique. Nous le savons, ce sont la peur et la douleur qui induisent ce genre de réaction, mais nous nous méfions : nos mains sont nos instruments de travail et il serait bête de nous blesser inutilement. Alors nous attendons. Nous attendons que la petite chienne relâche sa prise et que nous puissions lui remettre l'objet sur le nez avant de reprendre les analyses.

Un mois, une histoire [recueil d'OS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant