Chapitre 11

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- Sonia Gamoué, ce nom te dit quelque chose ?
Stanley sursaute. Il garde le silence un instant avant de répondre :
- Hmmm ; excuse- moi Raissa, je vais aux toilettes ; je reviens.
Oui, il va aux toilettes pour reprendre son souffle et qui sait, réfléchir et me sortir un mensonge peut-être ; dans tous les cas, je suis prête à crever l’abcès et tout avouer ; Stanley non plus n’y échappera pas ; c’est étrange mais sachant que Dieu est avec moi, je ressens une paix intérieure et quelque soit l’issue de mon aveu, je ne crains plus rien car je sais que Dieu a un plan pour moi, même s’il faut que je traverse une période difficile. Lorsque le Créateur est notre boussole, nous avançons avec assurance et il nous oriente dans les pires épreuves. Dame Ayabavi avait raison de me dire que qui craint de souffrir souffre déjà de ce qu’il craint. Que Stanley fasse tout le temps qu’il veut aux toilettes, nous allons nous parler face à face.
Après environ une quinzaine de minutes, Stanley revient. Je l’interroge:
- tu en as mis du temps aux toilettes ; ou bien es-tu allé réfléchir à la réponse que tu vas me servir ?
- Très bien, va droit au but ; qu’as-tu à me dire à propos de Sonia ?
- Je veux que tu me parles de la relation qui te liait avec elle.
Stanley baisse la tête puis la relève et me dit en haussant le ton :
- je comprends tout maintenant ; on a dû te dire que je sors avec elle ; et après que ta collègue l’ait accouché, tu es passée par derrière pour la tuer par jalousie ; c’est bien cela ?
- personne ne me l’a dit ; j’ai eu les informations le soir où elle devait accoucher par son amie qui l’accompagnait ; et je sais aussi que tu es le père de son enfant, ne le nie pas ; tu as eu une conversation avec elle au téléphone et tu étais content d’avoir un fils ; j’ai tout entendu car je lui ai demandé de mettre le téléphone sur mains libres. Il n’y a jamais eu de Roukiya, c’est moi-même qui l’ai accouché.
- Je vois, tu l’as tué et tu as aussi tué l’enfant.
- Je n’ai tué personne ; j’ai juste été agressive avec elle et j’ai négligé de bien l’examiner après l’accouchement car j’étais furieuse. Parlant de l’enfant, tu es mal placé pour me juger ; n’est-ce pas que tu es son père, pourtant tu l’as abandonné à son sort ?
Stanley se lève et me demande de l’excuser un instant. Il revient dix minutes plus tard et poursuit :
- Il y a des choses que tu ne peux pas comprendre ; si tu ne te reproches rien, pourquoi est-ce que c’est maintenant que tu parles ? Je reconnais avoir été infidèle mais je n’aurais jamais imaginé que je vivais avec une criminelle ;
- Rien ne prouve que c’est par ma faute que Sonia est décédée ; et si c’est le cas, alors ce n’est pas intentionnel ; si j’avais voulu la tuer, je n’aurais jamais procédé à cet accouchement.
- Tu me négliges les nuits ; tu préfères ton travail à moi ; une autre femme me console et me donne ce que tu n’as jamais pu me donner ; tu as tout découvert, au lieu de te remettre en question et de m’en parler pour qu’on trouve une solution, tu tues la mère et l’enfant.
- Stanley, je n’ai tué ni la mère, ni l’enf……
Stanley ne me laisse pas terminer ma phrase et me coupe brutalement.
- tais-toi criminelle ; assassin ; je n’ai voulu rien te dire pour ne pas que tu souffres ; je voulais te protéger de cette douleur parce que malgré tout, je t’aimais ; tu dis que j’ai abandonné l’enfant ; mais c’est faux ; je savais qu’à l’hôpital, il était en de bonnes mains ; j’étais donc confiant et je prenais du temps pour réfléchir sur la manière de tout avouer ; le jour où je me suis décidé à tout te raconter, afin qu’on prenne l’enfant, tu es venue m’annoncer sa mort ; alors, je me suis dit que ce serait inutile de te blesser en t’avouant tout ; j’ai beaucoup souffert quand tu m’as annoncé que le bébé était mort et j’en suis même tombé malade. Tu te souviens ? Moi je suis peut-être un traître, mais toi, tu es une criminelle et jamais je ne te pardonnerai cet acte ignoble.
A peine Stanley a t-il fini de parler que je vois deux policiers s’approcher de nous ; Stanley leur dit :
- c’est elle ;
Je le regarde étonné ; il s’adresse à moi :
- Tu me regardes pour quoi ? Quand je me suis levé tout à l’heure, j’ai appelé la police pour te dénoncer et je leur ai indiqué ce restaurant; j’ai demandé qu’ils viennent te chercher ; il est hors de question que je rentre avec une meurtrière.
Les policiers me menottent et m’emmènent avec eux ; j’étais dépassée par la réaction de Stanley ; mon propre mari et père de mes enfants me fait arrêter ; il ne m’a même pas laissé le temps de lui dire que je n’ai pas tué le bébé et que c’est Chris.
J’aurais dû comme Dame Ayabavi me l’avait fait remarquer, tout dire dès la découverte de cette trahison ; cela avait été une grande erreur ; car voilà aujourd’hui, alors que c’est moi la victime, je suis accusée de meurtre. Je comprends que plus on attend avant de régler une situation, plus elle devient difficile à régler. Je n’aurais pas dû mentir à Stanley que l’enfant était mort ; car aujourd’hui, je découvre qu’il prenait son temps parce qu’il se disait qu’à l’hôpital, l’enfant était en sécurité. Il n’avait donc pas l’intention de l’abandonner ; il prenait juste du temps pour réfléchir ; l’homme de Dieu avait raison de me dire que le jour où je parlerai avec Stanley, je découvrirai pourquoi il a abandonné le bébé.
Je reconnais mes erreurs mais quel que soit ce qui se passe, Stanley n’a pas le droit de me faire arrêter comme un vil individu. Est-ce parce que le Commissaire est son ami qu’il s’est permis de donner l’ordre de m’arrêter ? J’étais ici pour qu’on parle entre adultes et voilà que je prends le chemin du Commissariat. Que vont devenir mes filles et que va t-il leur dire ?
Pendant le trajet du restaurant au Commissariat, je ne faisais que réfléchir encore et encore ; mais je sais que maintenant que Dieu est avec moi, j’endurerai cette période difficile avec confiance. En effet n’est-il pas écrit « quand je marche dans la vallée de la mort, je ne crains aucun mal car il est avec moi » ?
Je suis une personne gentille et tolérante ; voilà qu’aujourd’hui, c’est moi qu’on emmène en prison, un endroit ou jamais je n’aurais imaginé me retrouver dans ma vie. Sonia est peut-être décédée par ma faute et il fallait que je paie pour cela ; ce n’est pas grave ; j’apprendrai à supporter cette souffrance.
Au Commissariat, on me met dans une cellule où je suis toute seule ; le lendemain, je fus présentée au procureur qui ordonne que l’on me défère en prison en attendant qu’une procédure d’enquête soit ouverte ; on m’autorise à appeler deux personnes et j’ai opté de téléphoner à mon unique frère puis à l’homme de Dieu que j’ai connu récemment.
En aucun cas, je ne suis découragée ; j’avais confiance ; ce n’est qu’un moment difficile à traverser. J’attendrai alors d’être jugée.
Je reçois très vite la visite de l’homme de Dieu ainsi que celle de mon frère ; ils sont arrivés au même moment, aussi rapidement qu’un éclair. Mon frère est totalement désemparé :
- Raissa, que s’est-il passé, ?
- Abdoulaziz, je suis accusée pour meurtre ;
- Hein ! Toi ! Non, ce n’est pas vrai ; tu ne peux faire du mal à une mouche ; raconte moi de quoi il s’agit.
En présence de l’homme de Dieu, je raconte toute l’histoire à mon frère.
- pourquoi tu as gardé cette histoire tout ce temps Raissa ? Il fallait au moins m’en parler ; bien, ce n’est pas grave ; je vais te trouver un bon avocat. C’est la seule chose qui nous reste à faire ; mais ton Stanley là, il va m’entendre ! Comment peut-il envoyer la mère de ses enfants en prison comme si tu avais pris un fusil pour tuer sa maîtresse?
L’homme de Dieu me demande d’avoir la foi et de ne pas m’inquiéter.
Voici cinq jours à présent que je suis enfermée ici. Cinq jours, ou plutôt cinq jours et cinq nuits. Les nuits ont été pour moi bien plus éprouvantes que les journées. Pendant le jour, les conditions m’ont semblé moins terribles que je ne l’avais imaginé. Je suis placée pour la semaine, dans le secteur dit des « nouveaux arrivants ». C’est une cellule sans lumière et sans toilettes. Elle est remplie des détritus laissés par les prisonnières qui m’avaient précédé. Malgré tout, je bénis le seigneur car mon esprit est libre; Dame Ayabavi m’avait dit que mieux vaut la liberté d’esprit que celle physique; Ma chère dame Ayabavi, même morte, elle continue de me réconforter à travers les paroles qu’elle m’a laissées.
Mes enfants me manquent beaucoup; quand je parle de mes enfants, il s’agit aussi bien de mes filles que de Chris; j’ai fini par aimer ce petit garçon comme s’il était le mien, tellement il est attachant. Mais j’évite de trop y penser pour ne pas déprimer. Mais c’est vraiment dur d’être gaie quand on a de multiples raisons d’être triste.
Banalement, je viens de passer trois semaines en prison sans que Stanley ne me rende visite. Il n’y a que mon frère, l’homme de Dieu, Safiétou et quelques collègues qui ont cherché à me voir. J’avoue que Safiétou m’a beaucoup surprise dans cette situation; elle m’apportait à manger tous les jours afin de m’éviter d’avaler les mets insipides que l’on nous sert en prison. A chaque visite, elle devait subir une longue fouille et goûter la nourriture apportée. Cela a dû être une véritable corvée pour elle. Avec elle, je me rends compte que les amitiés les plus solides ne reposent pas sur l”intérêt; au contraire, elles se fondent sur le sacrifice; je me souviens encore de la première visite que Safiétou m’a rendu en prison et de notre discussion :
- Raissa, comment vas-tu?
- Bien, je tiens le coup; qui t’a informé de ma présence ici?
- N’arrivant pas à te joindre, je me suis rendue chez toi; et c’est là où Stanley m’a dit que tu es en prison car tu es une criminelle; j’ai voulu en savoir davantage mais il m’a accusé d’avoir monté ce coup avec toi, vu que nous sommes des amies;
- Je n’arrive pas à croire que Stanley me fasse arrêter;
- Ma chère, ce n’est pas pour rien qu’un penseur a dit que l’être humain est ondoyant et divers. Stanley te montre son vrai visage ; mais dis-moi, pourquoi ne m’as-tu jamais raconté cette histoire?
- J’avais peur et je ne voulais pas que cela se sache;
- Je suis ton amie, je t’aurais aidé à trouver une solution; bref, le vin est tiré, il faut le boire; as-tu déjà un avocat?
- Oui, mon frère m’a déjà trouvé un;
- J’espère qu’il est brillant car il te faut un avocat excellent pour ce procès.
- Je ne l’ai pas encore vu;
- Au fait, une de nos patientes est arrivée te manquer; elle s’appelle Béatrice; j’ai dû lui dire que tu as été enfermée mais je ne lui ai pas précisé la cause; je lui ai demandé de ne plus compter sur toi pour le suivi de ta grossesse;
- Tu as bien fait Safiétou, mes enfants me manquent; peux- tu me les emmener?
- Avec la manière dont ton mari m’a parlé la dernière fois, je doute qu’il me laisse les prendre; cependant, je vais essayer.
Contrairement aux autres prisonnières, j’étais mieux lotie car j’avais des gens pour me visiter, me réconforter et aussi pour m’apporter à manger. Même si la la souffrance est une croix personnelle qu’il faut porter seul, elle est mieux gérée quand la peine est partagée avec des personnes qui nous consolent. Je finissais donc de déguster un des plats apportés par Safiétou quand l’on m’annonce que j’ai de la visite. Je fus conduite dans la salle de visite où m’attendait l’inconnue. C’est une très belle femme, qui se tenait là pour me voir.
- Bonjour Madame Gobi, je suis Maître Justine Assaba, l’avocate commise à votre défense.
Je suis étonnée car je m’attendais à un homme comme Avocat.
- Bonjour Maître Justine, ravie de faire votre connaissance ;
- Moi de même Madame Gobi ; mais on dirait que vous paraissez surprise de me voir ;
- En fait, lorsque mon frère m’avait dit qu’il me trouverait un Avocat, j’ai pensé que ce serait un homme.
- Vous êtes déçues ?
- Non, pas du tout ;
- N’ayez aucune crainte, je gagne toujours mes procès. Maintenant, racontez-moi toute l’histoire ; ne dites rien que la vérité car on ne ment pas à son Avocat.
Je lui raconte tout sans omettre le moindre détail. Elle m’entretient encore quelques minutes par des paroles de réconfort :
- Madame Raissa, vous devez garder le moral haut et vous dire que bientôt, vous serez libres ; ceci n’est qu’une étape de votre vie ; et cette vie nous réserve parfois de grandes souffrances ; mais chacune de ces expériences nous aide à grandir, ; il faut donc apprendre à en tirer le positif. Je vous souhaite beaucoup de courage. Etes-vous croyante ?
- Oui, je le suis ;
- Alors dites-vous que Dieu est plus fort que tout ce qui peut vous arriver et que chaque difficulté est une opportunité de lui faire confiance.
- Merci Maître Justine pour le réconfort ;
- Bien, je vais partir et commencer à travailler sur votre dossier ; je vous rendrai visite aussi souvent que c’est nécessaire. A très bientôt.
Maître Justine allait s’en aller quand Béatrice entra dans la salle.

Un si lourd secret...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant