Chapitre 14

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Entendre ma fille prononcer des paroles aussi dures me fend le cœur ; Stanley est allé loin, très loin. Comment peut-il raconter des choses pareilles à un enfant de dix ans ? C'est un véritable choc pour moi ; je fais un effort surhumain pour tenter de raisonner ma fille aînée. - Carine, tu ne devrais pas croire ce que ton père raconte ; - Alors maman, dis-moi ce que tu faisais en prison ; ou n'étais-tu pas en prison ? Ma seconde fille s'introduit dans la discussion : - Mais maman, papa nous avait dit que tu étais en voyage ! Je ne savais plus quoi répondre à ces petites filles ! Comment me défendre et comment leur expliquer pour qu'elles comprennent ? Malgré toute ma déception, j'essaie quand-même de gribouiller une réponse. - Mes enfants, vous êtes encore trop petites pour comprendre certaines réalités de la vie ; je vais partir mais je reviendrai vous voir. Les deux dernières ainsi que Chris se collent à moi et commencent à pleurer. J'avais également les larmes aux yeux mais je m'interdisais d'en rajouter à leur peine ; mon rôle est plutôt de les rassurer. - Ne pleurez pas mes enfants ; je reviendrai très bientôt vous voir. - Non maman, répond ma deuxième fille ; je veux partir avec toi. Abdoulaziz dut se mettre dans la danse pour les calmer. La femme de ménage aussi vient à mon secours ; finalement, elles finissent par sécher leurs larmes en me faisant promettre de revenir le lendemain. Lorsque j'arrive au niveau du portail, j'entends la femme de ménage m'appeler en pressant les pas pour se rapprocher de moi. Elle me dit : - Madame, je voulais vous dire que je n'ai pas cru Monsieur quand il m'a dit que vous avez tué une femme et son bébé. Je suis restée dans cette maison par amour pour les enfants et par reconnaissance pour votre bonté ; alors, si vous avez besoin de moi, n'hésitez surtout pas. Je suis de votre côté. Ces paroles de la femme de ménage me touchent énormément. Alors, je saisis sa main tendue : - Merci, oui j'aurai besoin de toi, j'ai besoin que tu essaies d'ôter de la tête de Carine que je suis une criminelle. - Je ferai de mon mieux, Madame. Pendant le trajet qui mène de la maison de Stanley à celle de mon frère, les larmes longtemps retenues devant les enfants commencent à couler. Quand je regarde le passé, je ne vois rien qui justifie tout ce qui m'arrive. Mon frère me console : - Arrête de pleurer, Raissa. - C'est plus fort que moi ; - Tout s'arrangera avec le temps ; quand tu es face à un problème, nul besoin d'en faire une montagne de douleur ; soit il y a une solution et tu finiras bien par la trouver ; soit il n'y a aucune solution et dans ce cas rien ne sert de te torturer. Stanley pense qu'il est rusé mais il se trompe. L'Avocate que je t'ai prise est très compétente ; si la preuve de ton innocence est cachée au fond d'un trou, elle ira trouver. - Abdoulaziz, je ne crains rien de ce côté-là ; elle m'a assez rassuré ; mais comprends que j'ai mal au cœur de voir ma propre fille me traiter de criminelle. Stanley lui a fait un lavage de cerveau. Pourquoi mêle - t-il les enfants à ce problème ? - Dans le temps, maman t'avait dit de ne pas épouser le gars-ci mais tu étais aveuglée et tu ne l'as pas écouté, - Comment aurais- je pu écouter maman ? Il était exemplaire, rien à lui reprocher. - Mais malgré cela, notre défunte mère avait senti qu'il n'était pas une bonne personne ; l'apparence est trompeuse; elle t'avait demandé de prier pour votre union mais tu l'avais trouvé ringarde et vieux jeu ; les parents nous donnent toujours des conseils avisés mais on ne les écoute pas en pensant tout savoir. Mais bon, l'expérience est la meilleure des conseillères. - Comme j'aimerais que maman soit encore là ! - On devrait se rendre compte de l'importance des gens dans nos vies quand ils sont à nos côtés, pas quand ils sont partis. - Tu as raison mon frère, nous devons apprendre à apprécier ce que nous avons aujourd'hui avant que le temps ne nous fasse regretter ce que nous avions hier. Une semaine après ma libération, je fais un tour à l'hôpital. Je vais d'abord saluer et remercier le directeur de l'hôpital pour sa sollicitude à mon égard lors de mon séjour en prison ; je passe ensuite à la maternité voir mes collègues. Elles étaient ravies de me revoir ; les commentaires allaient bon train. - La plus gentille des Sages-femmes est de retour, dit l'une de mes collègues ! - Tellement gentille qu'elle n'a pas pu régler son compte à la maîtresse de son son soi-disant mari, réplique une autre ; - Non mais Raissa, tu déçois ! Tu n'as même rien fait et tu vas en prison ; si c'était moi, j'expédie rapidement cette dame et son bébé, ajoute encore une autre collègue. - Tu as été bête, complète la quatrième. - Ah bon ? Et le serment que vous avez prêté ? répondis-je - Raissa, tu es de retour avec tes idioties ; si tu n'as rien à dire, il faut circuler. Mes collègues me font vraiment marrer ; au fond, elles parlent seulement. Dans la réalité, elles ne pourront pas faire ce qu'elles disent ; elles ne sont pas si sauvages ; en tout cas, c'est ce que je crois. Je papote avec elles un moment puis demande à partir. L'une d'elles m'interroge : - Et ton idiot de mari ? - Je n'ai pas de ses nouvelles ; l'autre jour, quand je suis allée voir mes enfants, il n'était pas là ; - Je comprends alors que tu n'habites plus là et tu as bien fait. Un repris de justice qui joue au saint. Ce qui est sûr, nous témoignerons toutes en ta faveur. - Merci à vous toutes ; - Raissa, tu n'as pas l'air très gai ; arrête de souffrir ; tout ira bien ; - Je sais, c'est juste que mes enfants me manquent beaucoup ; - Ecoute Raissa, tu devrais enlever les deux « F » qui sont dans le mot souffrir ; cela donne quoi ? - Sourire. Et là, elles ont réussi à me faire sourire ; c'est vraiment une chance pour moi d'avoir des collègues qui m'apprécient. Tout ceci m'aide à supporter ma peine car quand je pense à ma fille aînée, mon chagrin est si profond qu'il peut m'engloutir. Je pense que pour me changer les idées, il vaut mieux que je reprenne le boulot. Les jours passent et j'attends toujours le procès ; pour voir mes enfants, je n'ai plus voulu retourner chez Stanley ; j'envoie mon Avocate les chercher ; au début, Stanley a voulu s'opposer mais la décision de justice à cet effet, l'a ramené à l'ordre. Seules mes deux dernières filles et Chris acceptent de me voir ; Carine refuse catégoriquement. Maître Justine m'a fait comprendre que lorsque mon innocence serait prouvée, ma fille reviendrait à de meilleurs sentiments. Quel qu'en soit l'issue, je refuse que l'on traumatise une fillette de son âge avec une histoire pareille. Elle n'est même pas encore adolescente ! Pourquoi il a fallu que Stanley mêle l'enfant à ce problème ? A cet âge, Carine n'est pas capable de gérer ses propres émotions. Elle n'en sera que désorientée, et cela va la plonger dans le désarroi. Jamais ma fille ne m'a manqué de respect ; Stanley a dû lui mettre plein de choses dans la tête. Je pensais à tout ceci, assise dans la cuisine de la maison de mon frère quand sa femme Colette me fit sentir sa présence. - à quoi penses-tu, Raissa ? - à Carine ; je n'arrive pas à croire que Stanley veuille traumatiser cette fillette en lui bourrant le cerveau ; j'en perds même les mots et je ne sais quoi dire; - Justement, Raissa, lorsqu'il n'y a plus de mots, ne cherche plus à parler ; le silence aussi a toute son éloquence ; garde silence et observe et tu verras comment tout va se régler ; le temps, est le second nom de Dieu. - Depuis le jour où je suis tombée sur cette Sonia, ma vie n'a plus été la même. Je me rends compte que se trouver à un certain endroit, à une certaine date et à une certaine heure peut complètement bouleverser la trajectoire d'un individu. Ma collègue Juliette ne m'aurait pas demandé de la remplacer cette nuit-là, que je n'aurai peut-être jamais vu le vrai visage de Stanley. - Tu as raison chère belle-sœur, il y a de ces choses qui changent à jamais votre vie. Malheureusement, on a pas toujours le pouvoir d'influer sur ces choses. - Trois filles Colette ! J'ai fait trois filles avec cet homme ! Je n'avais jamais imaginé dans ma vie divorcer et faire vivre mes enfants dans une famille monoparentale. Même tout en découvrant la relation de Stanley avec Sonia, j'ai tout fait pour éviter ce divorce, juste pour préserver l'image et l'équilibre psychologique des enfants ; mais là, maintenant, il s'agit de sécurité. - Ne pourrais-tu pas récupérer les enfants ? - Non, parce que je suis une présumée accusée. Je n'ai le droit que de les voir. C'est une épreuve pour moi ; malgré toute ma confiance en Dieu, parfois, je suis découragée et je me sens seule, Colette. - Tout s'arrangera Raissa ; dans l'épreuve, sois patiente, face au découragement, sois fort. Dans la solitude, prends courage, Dieu est avec toi. - Merci Colette et merci pour l'hospitalité que toi et Abdoulaziz m'offrez. - Que dis-tu, Raissa ? Aziz est ton frère ; s'il ne t'épaule pas, qui va le faire ? - Je sais, mais tu aurais pu l'en empêcher ; si tu n'étais pas d'accord, il n'allait jamais m'accueillir ; tout le monde sait que la nuit qui porte conseil, c'est la femme qui parle à son mari. - Oui, je sais qu'une femme peut influencer le cœur de son mari quand ils s'aiment vraiment. Si Dieu a donné l'autorité à l'homme, il a accordé l'influence à la femme, les deux vont ensemble. Mais toi-même, tu sais que jamais, je ne lui donnerai de mauvais conseils car la pensée de Dieu est restée inchangée pour chaque couple et chaque femme aujourd'hui : être une aide, un soutien pour un homme ; en retour, l'homme doit être une sécurité et un réconfort pour sa femme. Le couple qui adopte ce fonctionnement, laissant s'épanouir le rôle de chacun, accomplit à merveille la volonté de Dieu. - Tu as toujours été très vertueuse et croyante, Colette ; sais-tu que je t'en veux ? - Tu m'en veux ma belle-sœur ? Et pourquoi ? - Tu es très croyante, mais jamais tu ne m'as parlé de la foi ; Colette sourit et répond : - Tu n'étais pas très réceptive Raissa ; tu m'évitais et à la limite, je dirai que tu ne m'apprécies guère. Par exemple, tu me rends visite seulement quand j'accouche où quand tu veux voir ton frère. Et quand je viens chez toi, tu n'es jamais heureuse de me voir. Alors, je n'ai pas voulu forcer pour devenir ton amie et m'incruster dans ta vie ; mais je vais t'avouer un secret : j'ai toujours prié pour toi, pour que tu découvres le plan de Dieu pour ta vie. Tu n'avais pas mis ton mariage dans les mains de Dieu ; - tu l'as fait toi avant de te marier ? - Oh que oui; j'ai trop prié avant d'épouser ton frère; mais je suis très contente aujourd'hui que tu aies compris que quand tu es faible, Dieu est ta force ; quand tu as péché, il te pardonne et quand tu es découragé, il te relève. - Tu devrais surveiller ton repas au feu, Colette, il va brûler. Nous rions tous les deux de cette blague et Colette reprend : - Tu devrais reprendre le boulot, Raissa. Cela te changera les idées et tu pourras attendre ton procès patiemment. - J'y ai pensé aussi ; je pense reprendre dès le début de la semaine prochaine. J'espère juste que...... Je parlais encore quand le gardien de la maison de mon frère entre dans la cuisine et s'adresse à Colette. - Madame, vous avez de la visite ; - Qui est-ce ? - Elle dit qu'elle s'appelle Mademoiselle Hermione; - Ah oui, répond Colette ; c'est la petite sœur à une amie ; elle devait passer me remettre de l'argent que lui a confié sa sœur ; Raissa, s'il te plaît, pourrais-tu me surveiller le repas ? - Avec plaisir. Colette quitte la cuisine ; je m'approche de la cuisinière ; je soulève le couvercle de la marmite et le ragoût de pommes de terre que préparait Colette bouillonnait ; je goûte et je constate que le repas est fade ; elle a sûrement oublié d'ajouter du sel ; je regarde dans le placard où elle range ses épices et je ne trouve pas le sel ; je réduis l'intensité du feu et je me dirige vers le salon afin de lui demander où elle a rangé la boîte de sel. Je traverse l'allée qui sépare la cuisine du salon mais dès que je franchis le seuil de la salle, je m'arrête net pour mieux observer la visiteuse de loin ; je voulais être sûre que c'est la personne que j'imagine.

Un si lourd secret...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant