Tatie jolie folie

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« Je me demande si j'ai déjà été attachée à quoi que ce soit... En fait, si, assurément, mais il-y-a bien longtemps. Et probablement pas assez, pas vraiment, vu que j'ai fini par m'en détacher. M'en détacher pour n'être plus liée à rien.

Et je n'ai rien regretté. Et rien ne m'a manqué. Les gens, les choses, les idées, rien ne m'a manqué. Certains et certaines sont restés malgré tout, mais je sais que si elle me demandait de les abandonner je le ferais sans ciller. Elle, la seule à laquelle je sois attachée peut-être au fond. Je réalise seulement à présent qu'elle m'a imposé cette exigence : être à tout instant prête à renoncer à tout. Renoncer à tout pour elle, ou plutôt en son nom.

Je ne sais pas si c'est triste, ou si c'est beau. Peut-être les deux à la fois. Elle m'apporte un bonheur indicible, pur. Elle est la chose qui donne du sens à ma vie. Sans elle je ne serais plus moi. Mais me prend-elle aussi quelque chose ? Je n'ai jamais considéré que si, et pourtant force est de réaliser que si. Si, bien sûr que si ! Elle me sépare de tout le reste, me tient à distance de tout et de tous, me fait voler à mille lieues de la réalité, m'empêche de me lier et peut-être tout simplement.. d'aimer ; d'aimer quoi que ce soit d'autre qu'elle.

Mais je l'aime malgré tout, envers et contre tout, car elle est ce que je suis. Et car si elle me sépare du reste, ce n'est pas par jalousie ; c'est juste fortuit. Elle ne cherche pas à me garder pour elle. Elle n'a pas de volonté ; elle n'est personne.

Elle, que vous appellerez comme vous voudrez : philosophie, raison, vérité, pensée,... Elle, la force qui me pousse à tout remettre en question, perpétuellement.Son exigence est une et inflexible : renoncer à tout ce qui ne passera pas le test de la réflexion. C'est tout. Ce n'est nullement injuste. Elle est juste ; et c'est pour ça que je l'aime.

Pourquoi alors ne me sens-je qu'à moitié humaine ? Qu'ont-ils que je n'ai pas ? La capacité de se voiler la face, d'aimer à l'absolu une chose qui n'est pas la meilleure. Une chose à laquelle ils se sont attachée par le fait du hasard : le pays dans lequel ils sont nés, le dessin animé qu'ils ont regardé étant petits, l'ami qui a joué avec eux le premier jour de maternelle, la maison dans laquelle ils ont vécu pendant des années, les valeurs que leurs parents leur ont inculquées, la façon de voir le monde à laquelle ils se sont habitués,...

Leur monde est-il plus riche ou plus pauvre que le mien ? Plus pauvre, car ils auront toujours les mêmes choses ; toujours moins de choses au final. Ils n'auront eu qu'une seule vie quand j'en aurais eu plusieurs, au fil des évolutions et des remises en questions. Mais peut-être, probablement, que leur monde est plus riche aussi : car les choses acquièrent de la valeur du fait de leur attachement.

Les choses ont aussi de la valeur à mes yeux : celle que leur donne le test de la pensée. La valeur des choses change au fil des pensées. Je leur donne de la valeur par mes pensées. Eux aussi donnent de la valeur aux choses, mais par leurs choix arbitraires. Sauf qu'au final, n'est-ce pas tout simplement Liberté ? Ce n'est pas parce que c'est arbitraire que c'est... mal. C'est injuste oui. Peut-être après tout que l'amour est injuste : l'amour d'une idée ou d'une appartenance comme l'amour d'un être.

Mais je voudrais trouver un moyen d'aimer sans que ce ne soit injuste. Et peut-être juste, que je pourrais me contenter d'assumer le côté arbitraire de tout ça. Choisir de m'attacher en sachant que ce que je choisis n'est pas le meilleur. M'attacher sans la trahir elle. Juste continuer d'être lucide et de remettre en question, mais de malgré tout choisir ces choses que je sais n'être pas les meilleures. Non, bien sûr que je ne peux pas. Je serais incohérente, hypocrite ; forcément que ce serait une trahison : d'elle et de moi.

Au bal des nouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant