Elle le poussait à se regarder différemment

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Peut-être qu'au final il était un cliché bien plus qu'elle. Elle se trouvait banale, normale. Et il se prenait pour un grand philosophe, différent du reste de l'humanité.

Il était ridicule. Comment ne le voyait-il pas ? Il était un cliché de héros romantique, isolé et désespéré. Il regardait l'humanité sans jamais se sentir en faire partie, et il en souffrait mais jamais il n'aurait échangé sa position de héros contre un vulgaire sentiment d'appartenance. Il se sentait spécial. Mais il y en avait des milliers exactement comme lui. Il souffrait de la vie, la trouvait insatisfaisante et était convaincue qu'elle était vouée à le rester. Il trouvait les gens ridicules, était convaincu de n'être pas comme eux, et résolu à rester distinct de cette masse qu'il méprisait. Il n'aimait rien, tout lui semblait fade. La vie n'avait pas de sens à ses yeux. Tout était vain et il se trouvait terriblement intelligent de l'avoir remarqué. Il était malheureux.

Elle était belle. Elle avançait dans la vie sans se soucier de la théoriser. Elle savait voir ce qui n'allait pas, elle savait critiquer, mais elle savait aussi apprécier. Elle appréciait toutes ces petites choses que lui trouvait stupides. Elle s'intéressait. Contrairement à lui, elle s'intéressait. Elle ne s'intéressait pas à ce monde idéal abstrait dans lequel il aurait voulu vivre ; mais elle s'intéressait au monde réel qui les entourait. Elle aimait ces choses que tout le monde aimait : les films grands public, les événements sportifs, les nouvelles tendances vestimentaires, les derniers endroits à la mode. Elle aimait toutes ses choses qu'il méprisait. Elle aimait le monde réel. Elle était heureuse.

Il était prévisible. Son système philosophique pouvait se résumer à une dizaine d'idées, et une fois qu'on les avait intégrées on pouvait deviner son avis sur toute chose. Il était cohérent. Il n'aimait que les choses symboliques qui représentaient ce que lui pensait du monde. Il n'aimait que les œuvres qui exprimaient les idées qui étaient déjà les siennes. Il méprisait tout ce qui n'avait pas de sens, pas de but, pas de profondeur. Il aimait tout ce qui lui permettait de se sentir moins seul ; de réaliser que d'autres êtres étaient tout aussi malheureux que lui, de le conforter dans ses théories. Il était un cliché.

Elle était aléatoire. Une collection disparates de goûts et de dégoûts, d'enthousiasmes et de rejets, d'opinions et de souvenirs. Elle voyait des choses dans le monde et ses choses réveillaient des choses en elle. Elle aimait les choses qui lui rappelaient son enfance, ou d'autres périodes heureuses de sa vie. Elle aimait les choses qui lui évoquaient tel ou tel de ses amis qui les lui avaient fait connaître. Elle aimait les choses pour des causes qui n'étaient pas des raisons. Ses goûts résultaient de concours de circonstances. Tout lui évoquait des souvenirs. Elle se sentait connectée au monde ; connectée par ce sentiment de familiarité qu'elle ressentait en voyant ci et ça. Elle avait à chaque chose une relation qui lui était propre. Quand elle évoquait ses goûts et ses avis, venait toujours une anecdote associée. Une anecdote qu'on n'aurait pas pu deviner, qui résultait en un enthousiasme qu'on n'aurait pas pu prédire. Sa relation aux choses était la résultante de tous les petites coïncidences qui avaient constitué son existence particulière. Elle était unique.

Il pensait que, comme la vie n'avait pas de sens, l'humanité pouvait lui créer le sens qu'elle voudrait. Et il n'aimait pas le sens que l'humanité semblait avoir choisi ; il n'aimait pas ce que l'humanité créait. Elle, pensait que le sens de la vie était à trouver dans l'appréciation des choses que les hommes avaient crées. Elle aimait voir en chaque chose le potentiel de création immense qui s'était réalisé à travers elle. Il avançait dans le monde sans le regarder, convaincu qu'il n'avait rien à lui offrir. Elle avançait dans le monde émerveillée, et déterminée à prendre tout ce qu'il avait à lui offrir. Il aurait voulu une culture qui soit l'expression d'une vérité universelle sur ce qui serait le meilleur. Elle aimait la culture qui était le fruit des concours de circonstances et collisions d'existences qui avaient fait l'histoire de l'humanité jusqu'à aujourd'hui. En appréciant ce que les hommes avaient construit, elle donnait du sens à leur création, et ce faisant à leur existence. Il n'était qu'un rabat-joie.

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