Et toi ?

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Elle voyait la vie comme un calendrier de l'avent dont chaque jour elle ouvrirait une case pour découvrir les surprises qui lui étaient réservées. Sans cette attitude, la vie aurait probablement été dépourvue de surprises. Mais quand on cherche, on trouve. Et quand il s'agissait de chercher des surprises, Prunelle était une véritable exploratrice.

Les trésors qu'elle recherchait, c'était des gens. Les gens lui semblaient tout simplement fascinants. Rien ne lui semblait si enrichissant que de rencontrer quelqu'un de nouveau et de l'écouter parler longuement : de sa vie, de qui il ou elle était, de ce qu'il ou elle cherchait, de ce qu'il ou elle avait trouvé. Chaque personne qu'elle rencontrait la gratifiait, volontairement ou non, de quelques leçons de vie.

Et c'est pour ça qu'elle sortait du lit le matin : l'idée que peut-être elle entendrait aujourd'hui quelque chose qui lui ferait radicalement changer sa façon de voir les choses. Alors, avec cette perception qui changeait, c'était toute sa vie qui changerait. Tous les gens qu'elle connaissait semblaient désespérément avoir besoin de nouveauté, sans réaliser qu'il leur suffirait de quelque mots pour bénéficier de ce renouveau. De quelques mots, et surtout d'une réelle volonté de changer. Mais elle, en était consciente, et possédait cette volonté. Envie de changement, ou peut-être peur de la stagnation : quelle était la différence après tout ?

Alors elle se laissait porter par la vie, ouverte à tous ce qu'elle pourrait y trouver. Et souvent elle trouvait quelque chose – quelques mots, une idée – qui lui permettait de prendre un nouvel élan : sa vie prenait une nouvelle couleur, une nouvelle saveur. Jusqu'à la fois suivante, au prochain changement, à la prochaine révélation.

Prunelle, petite plume qui se laissait porter par le vent, virevoltait constamment et semblait pleine d'énergie. Elle était toute emplie de cette vie dont j'étais dépourvu : elle vivait en contact constant avec ce monde réel dont je m'isolais de plus en plus, et prenait tout ce qu'il avait à lui offrir quand tout me semblait fade et vain.

Pourtant, je ne l'ai pas enviée très longtemps. Je crois qu'elle aimait sa vie. Mais je ne suis pas certain qu'elle se soit aimée elle-même.

Ce qui me stupéfiait, c'est qu'au cours de toutes ces conversations avec ces inconnus qui semblaient tant lui apporter, il ne lui soit jamais venu à l'idée qu'elle aussi pourrait avoir quelque chose à leur apporter à eux. Elle était capable de voir la richesse en chacun, sauf en elle-même.

Aurait-elle seulement pu dire qui elle était ? Caméléon changeant de couleur au fil des rencontres, qui ne s'est jamais demandé quelle est sa propre couleur.

A présent, elle était probablement un mélange de tous ceux dont elle avait choisi d'emprunter un morceau. Elle avait grandi, constamment enrichie par toutes les choses qu'elles parvenait à percevoir chez les uns et les autres. Mais elle n'avait jamais vraiment considérée toutes ces choses comme lui appartenant, n'avait jamais cessé de les voir comme des emprunts faits à autrui.

Elle avait perçu en eux des choses que personne d'autres n'aurait perçu, choisi elle-même quoi retenir d'untel ou untel. Sans jamais réaliser qu'il s'agissait d'un choix qu'elle faisait elle-même. En ayant toujours l'impression que tout venait d'eux et qu'elle n'avait aucun mérite. Années après années, elle s'était construite sans jamais prendre le temps de s'arrêter et de regarder qui elle était venue.

Et ce sens d'une identité propre qui lui faisait défaut, l'empêchait de voir qu'elle aussi était intéressante. Et qu'elle aussi pourrait apporter à quelqu'un d'autre un éclairage intéressant ou un nouvel élan.

Au bal des nouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant