Chapitre 3 : Silence

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   Je m'approchai sans bruit d'un piège dissimulé entre les racines d'un arbre. Comme je m'y attendais, une pauvre petite boule de poils s'y débattait faiblement. Mon cœur se serra de pitié et je m'avançai doucement vers elle. C'était un lapin, qui me regarda avec peur tandis que je m'agenouillais auprès de lui.

    Je caressai un instant la douce fourrure. La pauvre bête tremblait sous mes doigts et son pelage était tout poisseux, sûrement taché de sang. Sa patte arrière droite quant à elle était complètement broyée par les dents de fer du piège.

   J'attrapai doucement une pierre non loin de moi, en évitant le plus possible de faire des mouvements brusques. Le lapin s'était légèrement détendu sous mes caresses. Il n'avait probablement plus la force de lutter.

   Alors, d'un coup, j'abattis brusquement la pierre sur son cou, qui se brisa en un craquement sec.

    Je me mordis aussitôt la lèvre en détournant le regard pour ne pas voir le petit être mourir. Tuer des animaux sans défense me répugnait, mais je ne pouvais pas faire autrement. C'était ou ça, ou ma mère et moi mourions de faim.

    Sans un regard pour la petite bête morte, je la détachai du piège et l'accrochai à ma ceinture, parmi le butin de la journée. Je me mis à marcher en fredonnant, luttant contre l'odeur de mort dans laquelle je baignais depuis une demi-heure. La nausée me prenait dès que je repensais au gibier mort qui pendait à ma taille et au sang qui avait giclé sur mon bras, alors je concentrai mon esprit à autre chose.

    Je fermai les yeux tandis que mes pieds nus foulaient silencieusement le sol jonché de feuilles. Depuis l'incident au village, il y avait cinq ans, je n'avais jamais revu personne d'autre que ma mère. Nous nous débrouillions pour survivre seuls. Colombe avait fabriqué des pièges que je posais et relevais chaque jour. Avec la chair du gibier et les herbes qu'elle m'avait appris à reconnaître, elle cuisinait pour nous deux, et avec les peaux, elle nous cousait des vêtements.

    La vie était plutôt difficile, mais cela ne me dérangeait pas. Tant qu'on nous laissait tranquille, ma mère et moi, cela suffisait à mon bonheur.

    Je finis par arriver à une petite clairière entre les arbres. La douce lumière du soleil qui filtrait entre les branches scintillait sur l'eau calme d'un petit bassin naturel. Je m'arrêtai au bord, me penchai légèrement et trempai un doigt dans l'eau.

    Elle était fraîche et limpide, et un frisson de plaisir remonta le long de mon échine. Je me défis de ma ceinture et la posai dans l'herbe, avant de m'avancer lentement dans le bassin.

    Mes pieds nus glissaient sur les cailloux tandis que je m'agenouillais pour caresser doucement la surface. J'aimais cet endroit à mi-chemin entre ombre et lumière. C'était mon refuge, l'endroit où je me débarrassais de toutes mes idées noires.

    Je lançai un long regard autour de moi, fouillant la forêt du regard. Je ne voyais rien, que des arbres et des buissons, et de toute façon, personne ne venait jamais ici. Pourtant, c'était devenu une habitude pour rassurer ma pudeur.

    Rassuré, je retirai mon haut et le lançai sur la berge. Puis, sans réellement y penser, je passai doucement un doigt sur les contours de mon torse nu. Je détestais mon corps frêle et pâle, je me sentais si faible par rapport aux autres. C'était peut-être de cela dont venait ma pudeur irrépressible : cette honte et cette envie de me cacher le plus possible.

    Après une dernière hésitation, j'enlevai mon pantalon et restai debout en sous-vêtement, frissonnant légèrement de froid. Puis je m'avançai vers le centre, là où le bassin était le plus profond, et m'y laissai glisser.

    Un soupir d'aise m'échappa lorsque l'eau fraîche enveloppa mon corps. Heureux, je fermai les yeux et savourai l'instant. Puis je pris une grande inspiration avant de m'enfoncer lentement sous l'eau.

    Je me sentais bien. Juste bien. J'avais l'impression que le monde autour de moi s'était effacé pour ne laisser que moi, l'eau et la sérénité. Peu à peu, la tempête de pensées qui tournaient dans mon crâne se calma, les couleurs qui dansaient devant mes yeux s'estompèrent, le noir se fit dans mon esprit.

    Le silence m'entourait comme un cocon bienfaisant, il se coulait tout autour de moi, contre moi et en moi. Je me sentais flotter, irréel, lointain. Je ne faisais plus partie du monde, j'étais loin, à part. Enfin, je me sentais important. Enfin, j'étais quelqu'un ! Un être à part entière, et pas simplement un jeune garçon dépendant de sa mère. J'étais relié au monde entier, j'étais dans l'eau du lac, dans le vent doux, dans la terre calme et même dans les cendres fumantes. Je sentais mon cœur battre lentement, de plus en plus lentement, un rythme qui faisait vibrer mon être, mon corps, mon âme. Je souhaitais rester ici pour toujours, oublier tout, être moi-même, vivre enfin !

    C'était la première fois que je ressentais un si grand calme. C'était comme si plus rien n'existait en dehors de moi, de mes perceptions. Le silence me paraissait empli de sens, l'obscurité de beauté, le calme de vie. Je crus flotter quelque part entre la vie et la mort, la terre et l'univers, la lumière et l'ombre.

    Puis, soudain, une douleur sourde martela ma poitrine, une lumière agressive m'aveugla - je sus alors que tout était fini.

    Et quand je rouvris les yeux, une silhouette se dessina en contre-jour devant le soleil.

Les Origines : Naos, fils de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant