Chapitre 6 : Stupide

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    Je contemplais silencieusement l'eau calme, absorbé dans mes réflexions. Mon esprit ne cessait de se ramener à ce qui s'était passé la veille et à ce jeune homme, Onyx. Ma mère s'était demandée pourquoi je restais aussi silencieux, et je n'avais pas réussi à m'endormir ce soir-là. Dans ma tête repassaient en boucle son visage, ses yeux, son nom. A un moment, je l'avais murmuré sans m'en rendre compte, et ce ne fut que lorsque Colombe crut que je lui avais parlé que je réalisai que j'avais pensé à voix haute.

    Mais surtout, ce qui résonnait encore et toujours à mes oreilles, c'était mon prénom, murmuré par sa voix douce, tout près de moi. Je rougissais dès que j'y repensais, et quelque chose que je ne connaissais pas s'éveillait timidement dans mon ventre à ce souvenir.

    Et maintenant, je me trouvais à l'endroit où je l'avais rencontré, à souhaiter de tout cœur qu'il réapparaisse, qu'il n'ait pas été un simple songe, un rêve délicieux, un mirage enchanteur.

    J'étais stupide, je le savais. Je ne savais même pas s'il se souvenait de moi. Après tout, nous nous étions vus à peine cinq minutes, et pourtant il avait réussi à occuper chacune de mes pensées ces vingt-quatre dernières heures. Mais qui me disait que c'était réciproque ? Et si je me faisais des idées ?

    Alors, une pensée stupide me vint. Si je me noyais à nouveau, allait-il revenir me sauver ? Aussitôt que j'eus formulé cette pensée, je secouai fortement la tête. Non, c'était stupide. Je n'allais pas risquer ma vie juste pour revoir un presque-inconnu. J'allais simplement l'attendre ici, bien sagement, sans prendre de risques inutiles.

    Je patientai longtemps, observant l'ombre mouvante des arbres sur le sol, les reflets scintillants de l'eau. Sans aucun succès. Il ne vint pas.

    Le doute me prit, un doute horrible qui me tirailla le cœur. Je me mordis nerveusement la lèvre. Il avait décidé de ne pas venir. Il voulait me laisser seul, parce que j'étais faible et inintéressant. Ou alors, encore pire, il se fichait totalement de moi et m'avait complètement oublié. Je ne savais pas pourquoi son absence me faisait aussi mal, mais la douleur était bien réelle, formant une sensation de vide dans mon ventre.

    Je décidai alors que j'étais stupide. Tant pis pour le bon sens, tant pis pour la raison. Je voulais le revoir, il le fallait, et ce, par tous les moyens. Je me levai d'un pas décidé, retirai ma chemise après un minuscule instant d'hésitation et m'approchai de l'eau.

    L'herbe humide était glissante sous mes pieds. Je perdis légèrement l'équilibre mais me rattrapai de justesse à la branche d'un arbre. En silence, je remerciai le végétal pour son aide. C'était quelque chose que je faisais tout le temps. Il me semblait que les arbres étaient vivants eux aussi et devaient donc avoir droit à une forme de considération.

    Mon regard se pencha finalement vers l'eau à mes pieds. Pure et transparente, elle laissait apercevoir de gros galets ronds et glissants. Je fus pris d'un frisson glacé. Après l'incident de la veille, je n'avais plus du tout envie d'y remettre les pieds.

    Elle me paraissait être un piège, un piège sournois et trompeur qui se refermerait à tout instant sur moi, m'emprisonnant dans ses dents de froid et de silence. Alors, j'aurais beau me débattre, elle m'entraînerait au fond avant de s'inviter en moi, dans tout mon corps, m'asphyxiant, me glaçant. Impuissant, je n'aurais d'autre choix que de m'y soumettre, prisonnier désespéré. Et là, elle me tuerait doucement, atrocement, douloureusement.

    Et pourtant, surmontant ma peur et ma répulsion, j'y posai un pied, lentement, avec précaution.

    Aussitôt, elle se referma autour de lui, le piégeant dans un carcan de froid. Je fis une grimace tandis que mon cœur s'accéléra, mais je ne pliai pas et posai un deuxième pied.

    Pris au piège par deux étaux de glace, je me sentis tout à coup enchaîné, horriblement impuissant. Le froid remontait le long de mes jambes, glaçant jusqu'au bout de mes doigts. Un instant, je fus incapable de bouger. Je pouvais encore faire demi-tour, remonter sur la berge.

    Le visage d'Onyx se matérialisa devant moi. Non ! Je voulais le revoir, et pour cela j'irais jusqu'au bout ! Lentement, posant avec précaution mes pieds sur les galets glissants, j'avançai jusqu'au centre.

    Je marchais lentement tandis que l'eau et le froid entouraient peu à peu mon corps, léchant consciencieusement ma peau. Mes membres s'engourdissaient, mes muscles se raidissaient. J'étais terrifié, et je frissonnais autant de peur que de froid.

    Pourtant j'avançai, comme un condamné vers son supplice. Un seul mot tournait dans ma tête, répété encore et encore par cette voix douce jusqu'à perdre tout son sens...

    Naos...

    Je fermai les yeux pour y chasser mes larmes. J'étais maintenant arrivé à l'endroit le plus profond. Un pas, et je serai complètement dans l'eau. Mon bourreau pernicieux s'inviterait sous mes vêtements, le long de chaque parcelle de peau, dans ma gorge, jusqu'au fin fond de mon âme.

    Onyx... Tu n'es pas venu...

    Je pris une profonde inspiration...

     Brusquement, des bras forts serrèrent mon torse, si fort que je crus éclater. La peau était chaude, d'une chaleur qui réchauffa immédiatement mon corps gelé. Mon esprit fut balayé par une tornade de sentiments, d'émotions, de sensations toutes plus affolantes les unes que les autres. Des sanglots violents me secouèrent, incontrôlables.

    Il était là, il était venu, il m'avait sauvé de moi-même et de mes idées noires.

    Et sa chaleur me traversa tout entier lorsqu'il murmura à mon oreille :

    - Bon sang, tu es stupide ou suicidaire ?

Les Origines : Naos, fils de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant