Je levai doucement les yeux vers le soleil, une main en visière pour me protéger de ses rayons. Ce jour-là, il faisait beau et chaud, et les prairies resplendissaient dans la lumière.
N'importe qui aurait trouvé cette journée idéale, mais pas moi. Comme ma mère, je détestais le soleil et la chaleur. Lorsque le ciel était d'un bleu sans nuages, la poussière se soulevait sous nos pieds et restait collée à nos peaux trempées de sueur, tandis que les rayons venimeux de l'astre du jour nous brûlaient continuellement la peau.
Je préférais l'ombre calme des sous-bois, l'eau rafraîchissante des jours de pluie, l'humidité du brouillard ou le silence feutré de la neige. Mais le moment qui me convenait le mieux, celui où je me sentais vraiment à ma place, c'était la nuit. J'adorais cette obscurité qui pour moi n'avait aucun mystère, calme, paisible, d'une douceur infinie.
Ma mère, en pure NightMar, détestait encore plus la lumière que moi. Étant de sang métissé, je supportais assez bien le jour, mais elle était obligée de rentrer dans la pénombre de notre maison dès le lever du soleil.
Je contemplai un instant la lente descente de l'astre vers l'horizon, et lorsqu'enfin ses derniers rayons eurent disparu, je me tournai vers la chaumière et appelai un joyeux :
- Maman ! On peut y aller !
Colombe sortit alors sur le seuil, clignant des yeux devant la faible luminosité. Elle était belle avec ses longs cheveux qui flottaient doucement derrière et ses yeux emplis de douceur. La jeune femme posa sur moi un regard tendre et murmura :
- Mon chéri, tu veux bien m'aider à porter le panier ?
Je me précipitai pour soutenir le lourd baluchon. Je n'étais pas très fort, mais elle l'était encore moins et je ne voulais pas l'encombrer. Colombe me sourit en voyant mes efforts, et je lui rendis son sourire.
Nous descendîmes lentement le long chemin, respirant à pleins poumons l'air frais de la nuit naissante. Je parlais beaucoup et passionnément. Je lui décrivais mes journées, mes jeux, ma vie en solitaire. Elle écoutait en silence, faisant parfois quelques remarques d'une voix fluette. Un doux sourire était accroché à ses lèvres, encore et toujours.
Nous finîmes par arriver au village. Ce n'étaient que quelques maisons en bois agglutinées autour d'une petite place, mais pour moi, c'était déjà la ville. Je ne connaissais pas de plus grand rassemblement de personnes, et mon univers s'arrêtait là où s'arrêtait mon regard.
Ma mère et moi entrâmes lentement dans la petite rue, courbés sous le poids du panier. Sans savoir vraiment pourquoi, nous avions arrêté de parler et marchions en silence sans regarder personne.
Autour de nous, les autres NightMars circulaient discrètement, se faufilaient sans bruit entre les autres passants, se saluaient quelquefois au passage. Peuple discret par nature, la ville n'était pas un lieu bruyants et animé, mais plutôt un endroit calme et assez paisible, où les habitants vivaient en harmonie.
Cependant, malgré l'entente et l'harmonie générales, ma mère et moi étions mis à l'écart. Personne ne nous regardait ou ne nous faisait un signe. Totalement ignorés par la foule, nous avançâmes jusqu'à la petite place au centre du village.
Ma mère défit son panier, étala devant elle tout ce qu'elle avait à vendre. Des habits, des plantes médicinales, de la confiture, des fruits en bocaux, des fleurs séchées... Je m'assis à côté d'elle et regardais les autres NightMars d'un air curieux.
C'était la première fois que je venais au village et je n'avais jamais vu personne d'autre que ma mère et ma grand-mère. Aussi, j'étais curieux de tous ces gens que je ne voyais d'habitude que de loin. Mon regard effleurait tout ce qu'il trouvait à voir, mais je restais assis en silence, retenant toutes ces questions que je brûlais de poser.
Les gens passaient et repassaient devant nous, achetant, marchandant, mais toujours à voix basse, dans ce calme, ce demi-silence feutré et paisible. La nuit avançait doucement, le ciel s'assombrissait et les étoiles s'allumaient lentement sur la voûte céleste. Peu à peu, les NightMars semblaient plus assurés. Ils se mouvaient plus facilement, se déplaçaient plus rapidement, mais toujours sans élever la voix. La nuit était, avait toujours été leur - notre domaine.Le village prenait vie sous la faible lumière de la lune.
Ce ne fut que lorsque ma mère se leva lentement que je me rendis compte qu'il était bientôt le matin.
Et que personne ne s'était arrêté devant notre stand pour acheter, ou même simplement regarder les produits qu'elle proposait. J'étais alors trop jeune pour le comprendre, mais cela signifiait qu'elle n'aurait pas d'argent pour nous acheter la viande, le tissu et les outils dont elle avait besoin. Cela n'était jamais arrivé auparavant, et, avec le recul, je pense que c'était ma présence qui avait rappelé aux villageois la jeunesse de Colombe et les avait incités à ne pas s'approcher de nous.
Je la fixai, inquiet, et miaulai un timide :
- Maman...
Elle se tourna vers moi en souriant toujours de son doux sourire, et murmura :
- Il va falloir rentrer, mon chéri...
Mais je voyais bien les quelques larmes qu'elle s'efforçait de contenir et qui brillaient au coin de ses yeux.
Nous remballâmes nos affaires en silence. Colombe ne parlait pas et je n'osai pas interrompre son silence. Tout autour, les villageois continuaient à nous ignorer. Finalement, elle remit avec peine le panier sur son épaule et nous partîmes sans un bruit, encore plus lentement et péniblement qu'à notre arrivée.
Nous ne descendîmes plus jamais au village. A partir de ce moment-là, nous apprîmes à nous débrouiller par nous-mêmes.
A cette époque, j'avais dix ans.
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Les Origines : Naos, fils de l'ombre
FantasíaIl était une fois un petit être non désiré, né par erreur d'un homme traître et menteur, un petit être qui n'aurait jamais dû exister... Il était une fois un petit garçon qui grandit seul avec sa mère, mise à l'écart de ses semblables à cause d'une...