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Quatre jours, une heure, trois minutes et cinquante-neuf secondes...

Je soupire à la pensée que j'en suis à compter les heures, les minutes et les secondes qui me séparent déjà de John. Je n'arrive pas à me l'enlever de la tête. Chaque matin, je me lève en me disant que j'aurai des nouvelles. Chaque matin, j'en parle à Sarah par SMS ou par téléphone. Elle me propose de la rejoindre à Keystone, dans le Colorado, pour faire du ski, s'efforce de me rassurer, me demande de relativiser et de surtout me protéger. Je sais qu'elle a raison, que je dois arrêter de faire une fixation.

Quelques jours à pratiquer ma passion dans la poudreuse ne me feraient pas de mal, j'en ai bien conscience également. Sarah me connaît par cœur. Elle a compris que c'est sérieux puisque je n'ai jamais été comme ça. D'une certaine façon, elle est même rassurée à l'idée que de tels sentiments se développent enfin chez moi.

Je l'entends encore me dire : « C'est un scoop ça, Alexandra Leduc enfin amoureuse ! »

Comment peut-on tomber amoureuse en si peu de temps ?

Je ne me poserais pas cette question si mon avion n'avait pas été annoncé avec du retard à l'aéroport de Milan. J'aurais embarqué pour un vol régulier, il ne serait rien passé avec John et je me porterais beaucoup mieux. Et dans le jet, j'aurais tout aussi bien pu tourner sept fois ma langue dans ma bouche au lieu de la plonger dans la sienne.

D'un autre côté, je me sens riche de ces quelques heures. Même si ce n'était apparemment qu'une osmose physique, j'aurais été stupide de me priver d'une telle extase.

Là encore, j'entends la question de Sarah : « C'était si incroyable que ça ? »

Et ma réponse du tac au tac :

« C'était plus qu'incroyable, c'était bestial, phénoménal, extraterrestre ! »

Non, je dois me faire à l'idée de ne pas le revoir.

Je repousse la couette d'un seul coup, me dirige vers mon iPad, sélectionne une playlist de musique électro et m'élance vers la cuisine pour me préparer un café bien serré.

Dans la baie vitrée séparant le salon de la terrasse avec vue sur Los Angeles, j'aperçois le reflet de ma silhouette vêtue d'un unique shorty.

Je lève ma tasse comme si c'était une coupe de champagne et je déclare par-dessus le mix syncopé de « Life is Good » par Ephemerals :

– Basta, la vie continue ! On oublie tout ça !

Ce brusque regain d'énergie me donne envie de rire. Et de danser. Dehors, le soleil brille.

Je passe un débardeur à la hâte, je fais glisser la baie vitrée et rejoins la terrasse en tek où je commence à m'agiter comme une adolescente sur le dancefloor de sa toute première rave. Un voisin occupé à tailler les rosiers de son balcon m'observe d'un air mécontent, mais je m'en fiche. Je m'en amuse même et exagère l'intensité de mes déhanchements.

J'attends d'être essoufflée pour filer vers la salle de bains et prendre une douche revigorante.

De retour dans le salon où je m'étale en peignoir sur le canapé, j'éprouve un sentiment de liberté retrouvée.

J'attrape mon portable et appelle Sarah, mais je tombe sur son répondeur :

– Coucou toi, c'était juste un message pour te dire que tout va bien, j'ai décidé de tirer un trait sur John. Je suis impatiente de m'offrir un week-end ski avec toi. Tu me manques. Bisous.

Je repose mon téléphone et je souris au vide. Nous sommes dimanche, dehors il fait beau, je suis jeune, j'ai une super amie et j'ai la vie devant moi. Je ne compte pas passer mon temps à attendre des nouvelles d'un fantôme.

Je m'apprête à me lever pour me préparer un autre café quand mon portable m'indique la réception d'un SMS. Sarah répond toujours à cent à l'heure !

Et mon cœur manque un battement lorsque je découvre le message :

[Je suis de retour à Los Angeles. J'ai une surprise pour toi. Rendez-vous dans une heure en bas de ton immeuble. John]

Mince alors ! Au moment où je décide de l'oublier, il réapparaît comme par magie.

Il rêve ou quoi ?

Il ne donne pas de nouvelles pendant près d'une semaine et il s'imagine vraiment qu'il lui suffit de claquer des doigts pour que j'accoure comme un petit chien ?

Tu te prends pour qui, monsieur White ?

Je me fais la réflexion que s'il lui a suffi de demander mon adresse à son chauffeur, il a dû contacter les ressources humaines de chez Just 4 You pour obtenir mon numéro de téléphone. Je suis flattée qu'il ait fait ça pour me retrouver, mais je n'ai pas du tout envie d'oublier ma résolution.

Je m'appelle Alexandra Leduc et j'ai ma fierté !

[Je ne peux pas, j'ai un rendez-vous...]

Je n'ai pas la moindre obligation, je suis libre comme l'air, mais pas question de céder. Je suis assez contente de ma réaction. Il est temps que quelqu'un fasse comprendre à John White qu'il n'est pas irrésistible...

Même si c'est un mensonge !

[Je peux te faire un mot d'excuse...]

Je suis estomaquée par son sens de la repartie. On dirait qu'il prend toujours les choses avec humour, comme animé par une insoutenable légèreté de vivre.

[Désolée, mais ça sera pour une autre fois.]

Je relis ma réponse. C'est très bien ça. S'il croit pouvoir s'en sortir en plaisantant, il se met le doigt dans l'œil. D'un autre côté, je suis forcée de m'avouer que j'attends avec impatience de savoir quel subterfuge il va bien pouvoir utiliser pour essayer de me faire... craquer.

[Imagine que la fin du monde est dans moins d'une heure ☹...]

À quoi il joue ? J'écris un bref message à la hâte.

[Et alors ?]

Je regarde l'écran de mon portable en me mordant la lèvre inférieure. Avec la sensation étrange de lui céder du terrain.

[On n'aurait même pas eu le temps de se dire au revoir ! ☹]

Il a beau abuser du smiley triste pour essayer de m'amadouer, j'imagine son sourire à cet instant, son regard pénétrant qui donne l'impression d'être à nu. J'éprouve malgré moi le désir de me jeter dans ses bras tant il me manque.

C'est incroyable... inexplicable. J'en arrive même à imaginer la fin du monde, j'ai dû contracter un virus.

Je reprends la main :

[Alors adieu !]

FIGHT FOR USOù les histoires vivent. Découvrez maintenant