Je suis seule dans ma chambre. C'est bizarre. D'ordinaire j'adore ce moment, quand je me retrouve avec mes pensées et le crépuscule. D'ordinaire j'aime à déplacer mon chevalet et une de mes toiles blanches devant la grande fenêtre propre de ma chambre pour peindre sous les teintes irisées. Ces moments là arrivent si rarement que d'ordinaire, je les savoure.
Mais là, le calme et le silence me pèsent. C'est comme s'ils me muselaient. Comme s'ils m'enfonçaient dans un précipice sombre et empli de liquides visqueux qui me happent, me tuent.
J'ai peur de perdre l'étincelle de vie que j'aime tellement dans mes yeux. En fait, j'ai peur de l'avoir déjà perdue.
C'est la seule touche d'originalité chez moi. Des yeux verts sans intérêt, une peau trop blanche, des traits trop ordinaires, des boucles rousses trop emmêlées, un style vestimentaire trop gris et depuis peu trop large. L' étincelle qu'adore Mathieu est la seule chose jolie de mon apparence.
Le crépuscule m'oppresse. J'ai l'impression qu'il va recouvrir le soleil de son manteau épais et noir pour toujours et ça me fait peur. Je n'arrive pas à tirer de l'espoir dans la présence des étoiles, petits points de lumière dans l'obscurité. Je ne vois que l'obscurité, sombre et dense.
Je me secoue. Je me suis promis de ne pas tomber dans des pensées noires ! Je suis une battante ! Je l'ai promis à Mathieu. Je suis une guerrière !
Déterminée, je relève mes boucles en une queue de cheval haute, attrape mon portable, lance ma playlist préférée et saute de mon lit d'un bond. J'aime bien ma chambre, elle est jolie avec ses teintes pastels qui brillent lorsque le soleil les douche de sa belle lumière.
J'adore l'immense fenêtre qui troue le mur de droite, la petite pièce qui me sert d'atelier dans le coin gauche et la salle de bain attenante. C'est un vrai bonheur d'avoir une salle d'eau à soi, je peux y laisser trainer autant de crèmes pour les mains autant que je veux. J'adore les crèmes pour les mains, quand j'étais petite je les collectionnais.
Je savoure la douceur de mon tapis tout propre et pelucheux sous la plante de mes pieds. J'ouvre la porte de l'atelier. La poussière sature l'air et mes toiles semblent sombres, je n'ai pas ouvert les volets de la petite mansarde depuis des jours. Je n'ai pas peint depuis longtemps, je n'en avais plus envie. C'est une autre chose qui me fait peur.
Décidée, je tire mon chevalet jusqu'à ma chambre et le positionne pour voir le crépuscule en peignant. Je retourne dans mon atelier et puis, soigneusement, je choisis mes pinceaux, sélectionne les couleurs que je veux utiliser, les étales sur ma palette, enroule mes cheveux en un chignon pour qu'ils n'aient pas l'idée de venir se coller à la toile et les coince avec mon pinceau préféré, celui que j'ai décoré de petites fleurs bleues.
J'amène tout près du chevalet, tire le pouf qui traine vers mon bureau et m'installe face à la fenêtre. Je devrais me sentir inspirée, par les couleurs de ma palette et celles du ciel, mais non. Rien. Dans mon âme, tout est vide. Je refoule à grand peine des sanglots.
Avant ces quelques semaines, jamais je n'avais du m'empêcher de pleurer. Si les larmes me venaient, je les laissais couler. Mais celles ci me font terriblement honte. Alors je les enfouis dans ma poitrine, juste à côté de mon cœur.
Ca fait comme un trou à cet endroit, maintenant. Et j'ai l'impression qu'il prend de plus en plus de place, qu'il va finir par m'étouffer. Comme le crépuscule étouffe le jour.
Je laisse tomber ma palette sur la moquette. Manque de chance, toutes les peintures s'écrasent sur les poils impeccables du tapis. Quand je la reprends, les doigts tremblants, un tableau abstrait décore le blanc éclatant.
Horrifiée, je recule jusqu'à mon bureau. Une larme roule sur ma joue. Affolée, je presse mes paupières l'une contre l'autre. Je ne dois pas pleurer ! Je suis une guerrière ! Une battante !
En m'appuyant contre le meuble, je sens sous mes doigts des stylos et ma paire de ciseaux. Une idée qui m'a toujours paru stupide me traverse l'esprit. Je vois l'image du sang qui coule, mais je ne parviens pas à formuler en pensée le nom de ce que je m'apprête à faire. J'en ai honte. Mais c'est la seule solution qui me reste pour que les liquides visqueux de mes abysses ne m'emportent pas.
Alors j'attrape les ciseaux et marche à pas lents et désordonnés, un peu comme si j'avais bu, vers ma salle de bain. J'appuie mon poignet contre la vasque éclatante. A nouveau, du blanc immaculé que je vais tacher. D'une main tremblante, j'enfonce la lame dans ma peau diaphane. Je grimace, la douleur est infime mais désagréable. Je crois que j'ai enfoncé la lame un peu trop profondément parce que déjà, un filet de sang ruisselle sur mes doigts.
Je le regarde couler, fascinée. Je vois mes pensées noires dans l'hémoglobine, mon manque d'inspiration et mon courage. Ils disparaissent. Je peux respirer à nouveau, mais je sais que Charline la battante a disparu aussi. Et que je n'ai pas la force de la retrouver.
Alors, une larme coule. Elle traverse ma joue aussi vite que le sang s'est échappé de ma peau. Elle finit sa course sur ma clavicule. Et moi, je lave consciencieusement la lame des ciseaux. Je frotte avec mes ongles pour qu'il ne reste aucune trace de ma trahison envers ma promesse faite à Mathieu.
Et puis, honteuse et détruite, je compresse la plaie avec mes doigts de l'autre main, et cours en titubant jusqu'à mon lit. Je m'y effondre, presse mon poignet entre mes genoux, et laisse mes sanglots inonder mon oreiller.
Les liquides visqueux m'ont happée, mais maintenant, je sais comment m'en libérer pour quelques instants.
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Charline, réveille-toi...
Teen FictionMes paupières se ferment. La douleur est tellement forte que j'ai l'impression qu'elle va me rendre folle. Je sens mon sang dégouliner le long de ma tempe, loin de rouler comme la jolie perle qui roule sur le doigt parfait de la Belle au bois dorman...