Encore euphorique de mon moment passé avec Côme hier, je me réveille de bonne heure. L'aurore teinte encore le ciel de ses teintes roses. Il doit être aux alentours de six heures mais j'ai l'impression que la vie entière me sourit. J'ai envie de peindre à m'en briser les poignets. Mon cœur brûle du manque de la peau de Côme, de ses lèvre dans mon cou ou de la sensation de ses boucles blondes sous mes doigts.
Je me débarrasse de ma couette et frissonne. Hier soir, j'ai laissé la fenêtre ouverte pour m'envoler avec le vent. C'est une manie qui me vient d'une histoire que ma mère me racontait quand j'étais petite, celle d'une guerrière qui allumait les étoiles en chevauchant son fidèle destrier de vent.
J'attrape ma doudoune violette et l'enfile. J'aime beaucoup cette couleur, sa dualité entre sa vivacité et son côté profond me fait penser à Mathieu. Mathieu... C'est peut-être la première fois de ma vie que je vais lui cacher mes sentiments. Ceux qui me lient à Côme, j'ai l'impression qu'ils ne sont qu'à moi, que je dois les chérir et les préserver au plus profond de mon être, là, juste à côté de mon cœur.
Je savoure les poils doux de mon tapis sous la plante de mes pieds et entre mes orteils. J'adore cette tendresse, elle me fait penser à la première fois que Côme m'a embrassée, la première fois que ses yeux verts en même temps que ses lèvres m'ont chuchotées qu'il m'aimait. J'ouvre la porte de mon atelier et amène mon chevalet jusque dans ma chambre où les fenêtres dont je ne ferme jamais les volets laissent passer les rayons du soleil, timide en ce début de matinée frileux.
Je tire mon pouf, et file dans mon atelier choisir mes couleurs. Du rouge, puissant, de l'ambre, sombre et musqué, du doré, brillant et plein de promesses. Trois teintes qui me font penser à Côme. Trois teintes qui vibrent, là, juste à côté de mon cœur. Je retourne dans ma chambre et pose ma palette sur le bord de mon chevalet. J'attrape aussi mon pinceau fleuri que je coince dans mes boucles rousses et un crayon de papier que je ne peux m'empêcher de commencer à mordiller.
Je sais que je veux peindre une branche de camélia, ces fleurs que je trouve magnifiques et délicates, pour contrebalancer avec la puissance des couleurs que j'ai choisies. Mon problème, c'est que j'en ai vues que deux fois dans ma vie et que mes souvenirs ne sont pas assez précis pour que je les dessine de mémoire. Alors j'attrape mon portable, pressée de dénicher un modèle qui me plaise et de débuter ma peinture.
Je le déverrouille, et, surprise, aperçoit l'avalanche de notifications. Intriguée et un peu inquiète, j'oublie mon envie de peindre pour ouvrir l'application à l'icône colorée. Interdite, je regarde en suffoquant les mots qui s'affichent sur mon écran. D'où viennent-ils ?
J'appuie sur l'une des notifications. Un publication dont je ne connaissais pas l'existence apparaît. Je suffoque en reconnaissant mon ventre, nu, mes coudes qui cachent à peine mes seins et la dentelle de mon soutien gorge et mon menton fin, levé vers celui qui a pris la photo, qui laisse voir mon cou constellé de taches de rousseur. Mais le pire, ce sont mes yeux, brillants d'amour, de défi et de vie.
Je sens tout le poids du monde tomber sur mes épaules. Comment est-ce arrivé là ? Je n'ai pas publiée cette photo, je ne l'ai même pas prise ! Alors qui ? Côme. C'est Côme. C'est obligatoirement lui. J'ai envie de pleurer.
Mais je ne mérite pas ces larmes. C'est arrivé par ma faute. Si je ne l'avais pas laissé prendre mon portable, si je ne lui avais pas donné le code... Si j'avais été plus vigilante, plus intelligente, moins naïve... Comment ai-je pu croire que Côme s'intéressait à moi ?
Pétrifiée de honte, je regarde les commentaires. "Woooou la salope !" Je ne comprends pas. "Eh mais elle les cache bien ses petits airs de pute !" Comment est-ce arrivé si vite ? "Attendez, c'est pas Charline là-dessus, elle est bien trop belle !" Pourquoi ces mots ? Les ais-je mérités ? "Je l'imaginais pas comme ça..."
J'arrête de lire, mais c'est trop tard. Les mots se sont imprimés dans mon crâne, rouges, comme la couleur que j'avais choisie pour peindre les camélias. J'ai envie de pleurer, et je sens un trou dans ma poitrine, là où j'avais mis la flamme ardente que Côme a soufflée sans vergogne. Alors j'enfouis mes larmes dans cet espace vide, noir, nébuleux. Et ça me fait mal.
Je ne sais pas cacher mes pleurs. Pourtant, je sais que je vais devoir apprendre. La honte est trop forte pour que je me laisse pleurer, elle brûle tout, mon cœur, mes yeux, ma poitrine, mes doigts. A tel point que je n'ai même pas la force de supprimer le post.
Le prénom de Mathieu, entouré de deux cœurs bleus, s'affiche sur mon écran. J'appuie sur le téléphone vert. Colle mon portable contre mon oreille, la main tremblante.
- Jolie plume, comment tu vas ?
- Mal... Dis moi que tu n'as pas vu la publication...
- Si, c'est pour ça que je t'appelle. C'est Côme ?
- Qu'est-ce que tu va lui faire ?
- Je vais lui faire regretter de s'en être pris à toi !
- Mathieu... Il est plus grand que toi, il fait du taekwondo depuis ses huit ans et tu ne sais pas te battre... Ne te mesure pas à lui, s'il te plait, je ne veux pas que tu sois blessé.
- Oui, mais lui il n'a pas la rage de vaincre. Je vais défigurer son petit visage insolent et après...
- Ne fais pas ça, s'il te plait !
- Alors quoi ? Je dois rester là, les bras croisés, alors que par sa faute tout un tas de personnes vont oublier à quel point ma jolie plume est formidable ?
- Oui.
J'entends un long, très long soupir, à l'autre bout du fil.
- D'accord, si c'est ce que tu veux. Mais promets moi que jamais tu ne le laisseras te briser. Tu es une guerrière Charline. Promets-moi que tu ne l'oublieras pas !
- Promis.
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Charline, réveille-toi...
Fiksi RemajaMes paupières se ferment. La douleur est tellement forte que j'ai l'impression qu'elle va me rendre folle. Je sens mon sang dégouliner le long de ma tempe, loin de rouler comme la jolie perle qui roule sur le doigt parfait de la Belle au bois dorman...