- Charline ?
- Ah Mathieu ! Salut !Je lève la tête de mon ordi, et souris presque au jeune homme qui entre a pas hésitants dans mon atelier. Ses grands yeux bleus trouent sa peau d'ébène, et je ne peux m'empêcher de me demander encore une fois si c'est légal d'être aussi beau. Il a assorti sa veste en velours à ses iris et ses docs aux miennes. J'essaie de plaisanter mais l'anxiété fait trembler ma voix :
- Eh, monsieur s'est mis sur son trente-et-un !
- Eheh ça te plait ?J'essaie de rire avec mes yeux pendant qu'il fait un tour sur lui même pour me prouver la légèreté de sa veste. Je jette un œil à mes mitaines brunes tissées de fils d'or, nerveuse. J'espère qu'il ne s'en rendra pas compte...
- Bon allez tu te bouge ? Ils vont nous attendre après !
- J'ai pas trop envie d'y aller...
- Allez... T'es superbe avec ta jolie robe verte, elle rehausse tes yeux. Ils ne te critiqueront pas cette fois. Promis. Je te protégerai !
- J'ai pas envie Mathieu...
- Allez ma jolie plume, vient t'amuser un peu, t'adore danser en plus !
- Quand je suis toute seule oui.
- Ne leur donne pas raison s'il te plaît...
- C'est trop dur !
- Bon comme tu veux, j'y vais seul alors.Et je pense aux cicatrices sur mon poignet, au sang dans le lavabo, aux larmes brûlantes, aux commentaires horribles qui me fascinent. Je pense à ma détresse que personne n'entend. Que personne n'écoute. Ça c'est bien plus dur que quelques regards moqueurs.
- Attends ! Je viens.
Je saute sur mes pieds, vacille, et rejoins Mathieu, résignée. Il me sourit tendrement, attrape ma main et on descend les escaliers.
- Bonjour madame Saule !
- Bonjour Mathieu ! Où emmène-tu ma fille cette fois ?
- Chez Jade. C'est une amie à moi, ça va être tranquille.
- Si tu le dis, je te fais confiance ! Ramène la moi entière, tu sais que j'y tiens !
- Maman...
- Pas de problème Madame Saule !Il lui sourit et m'entraine dehors. Il me tend mon casque, celui que j'ai décoré à quinze ans par des strass et des volutes au marqueur doré à paillettes quand Mathieu a eu son permis. L'année dernière. J'ai l'impression que c'était il y a une éternité. Il s'installe, et puis je m'assieds derrière lui. J'enroule mes bras autour de lui. Il enfile ses gants, son propre casque plus sobre, noir, et démarre son scoot.
Il s'insère sur la route en riant, je souris presque. J'aime le vent dans mes très longues boucles rousses, la sensation de liberté quand je me penche avec Mathieu dans les virages, l'odeur de la nuit, celle du velours de la veste de Mathieu. C'est tellement apaisant. C'est le seul moment où j'aime le monde extérieur.
Mais bien vite, trop vite, des basses lourdes trouent le silence respectueux de la nuit. Mes épaules se creusent, ma nuque et mon dos se courbent. Mécanisme automatique de défense. Disparaître pour survivre. Mathieu arrête son engin quand ses roues crissent sur les graviers blancs. Je ne suis jamais venue chez Jade avant aujourd'hui, mais c'est grand.
Et surtout c'est plein de lumières, de stroboscopes, d'alcool, de musique. De gens. Dès qu'on est descendus, Mathieu prend ma main et m'amène à l'intérieur. Les sons sont trop forts, les adolescents trop là, les regards trop lourds. J'entends les chuchotements quand je passe à côté d'un groupe de filles accrochées à leurs verres de bières. Je les aies inventés ? Impossible.
Mathieu me regarde, un peu inquiet malgré son sourire qui se voudrait rassurant. Sans faire exprès, il tire sur ma mitaine. Un frisson d'effroi parcourt ma colonne vertébrale. Mes plaies à peines cicatrisées sont exposées à son regard réprobateur.
- T'as recommencé... Charline combien de fois je t'ai dit que c'est dangereux ?! Tu me fais peur jolie plume. Ça me dégoûte que tu te mutile... J'ai..
Les larmes aux yeux, je me débrouille pour retirer la mitaine, je cours à reculons, bute dans une dizaine de gens, me cogne les joues dans des poings, des coudes, des pleurs, entends des rires et des moqueries, me retourne, et cours. Il ne comprend pas. Mes docs font un bruit infernal dans les graviers. Il ne comprend pas.
Je cours je ne sais pas où. Je ne sais pas comment. Mes larmes brûlent mes joues. J'arrive dans des rues que je ne connais pas, je me suis perdue je crois. L'éclairage y est très insalubre. J'ai peur. Il ne comprend pas.
- Charline !
Je me retourne et une seconde après, la douleur irradie ma tempe. Je tombe à genoux. Et puis après je ne sais plus.
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Charline, réveille-toi...
Ficção AdolescenteMes paupières se ferment. La douleur est tellement forte que j'ai l'impression qu'elle va me rendre folle. Je sens mon sang dégouliner le long de ma tempe, loin de rouler comme la jolie perle qui roule sur le doigt parfait de la Belle au bois dorman...