Souvenir •8•

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J'ajuste mon pull ample, trop ample, j'aimais pas les pulls comme ça avant que je n'espère qu'il m'avale pour me cacher du monde. J'ajuste la ceinture de mon père sur mon pantalon trop large. Je veux disparaître.

J'attrape mon sac. Le passe sur mes épaules. Souffle. J'ouvre la porte, traverse mon atelier qui croule sous les dessins et les peintures et descends les escaliers.

- Charline chérie, c'est toi ?
- Maman j'ai dix-sept ans, plus huit, quand est-ce que tu vas arrêter tes surnoms stupides ?
- Au moins comme ça c'est clair, c'est bien toi ma chérie !

Je lève les yeux aux ciel. L'anxiété gonfle dans mon coeur, grandit dans ma poitrine, prend tellement de place que j'ai peur qu'elle finisse par m'étouffer. J'entends les pas précipités de ma mère et puis elle déboule dans la pièce, ses lourds cheveux roux attachés en son chignon si complexe, un fouet recouvert de pâte à gâteau dans la main et un tablier taché de dizaines de points de colorants noué autour de la taille.

Elle me sourit. J'essaie de lui rendre son sourire, je crois que c'est plutôt convaincant mais elle reste ma mère. Elle pose son index de sa main libre sur mon nez.

- T'es anxieuse ma petite chérie ? Un garçon ?
- Non mais t'es folle ?
- Comment ça se passe avec Mathieu d'ailleurs ?
- Mathieu d'ailleurs ?! Maman !
- Quoi ? Il est plutôt mignon tu ne trouves pas ?
- Bien sûr que oui mais c'est pas le sujet !
- Mmh... J'ai eu ton âge aussi ma chérie tu sais. Bon alors, qu'est ce qui te tracasse ?
- J'ai deux contrôles de sciences dans la journée et j'ai un peu de mal avec les notions, j'ai pas envie de ruiner mes efforts de début de trimestre à cause de ça...
- D'accord si ce n'est que ça...

Elle m'adresse un petit clin malicieux et mes yeux accrochent à nouveau le plafond. Elle dépose un baiser sonore sur ma joue. Ça résonne dans mon tympan. Je ne sais pas ce que je deviendrais sans elle.

- Allez file ma p'tite chérie, tu vas arriver en retard après !
- Salut maman.

J'ouvre la porte d'entrée, m'apprête à partir et puis me ravise. Je me retourne, m'approche de ma mère et lui colle un des baisers dont elle a le secret tout près de son oreille.

- Je t'aime maman, passe une bonne journée !
- Moi aussi je t'aime ma ché... Charline !

Je souris pour de vrai, même avec mes yeux, et puis je m'enfonce dans le jour. L'air est frais, un peu trop, et le soleil timide. Ses rayons effleurent à peine ma joue.

Je marche jusqu'à l'arrêt de bus, le cœur lourd. Je me demande ce qu'il va m'arriver aujourd'hui. Je ressers les anses de mon sac. J'ai à peine le temps de sortir ma carte de bus que déjà, il est là. Je respire profondément.

Je souris au chauffeur, le salue d'un signe de main, et fixe mes yeux sur mes baskets. Je sens tous les regards, c'est lourd. J'entends les chuchotements et les éclats de rire. Mon prénom. il résonne partout, et ma tête le répète, encore et encore. Une véritable cacophonie. Je voudrais m'arracher les oreilles, m'arracher les yeux, m'arracher le cœur.

J'attrape une barre et rentre mon menton entre mes épaules. J'ai peur. Je n'ai aucune idée de ce qu'il va m'arriver ici. Et je ne sais encore moins ce qui va m'arriver quand je serai au lycée.

Le bus s'arrête, ouvre ses portes arrières et commence à vomir le flot d'élèves qui bavassent et rient. Je me fonds dans cette masse, heureuse pour une fois d'être cachée de tous ces corps. Mais quand j'arrive dans la cour du lycée, quelqu'un m'attrape par le bras et m'entraîne dans un coin sombre. 

La panique sert tant ma gorge que je me sens incapable de crier. J'ai terriblement peur. Je n'ose pas relever la tête, mais j'entends sa voix, grave et puissante.

- Eh salut p'tite nympho... Relève ta tête on voit plus tes beaux yeux...

Il me force à lever mon menton. Des larmes roulent sur mes joues. Je ne veux pas le voir. Je ne veux pas me rappeler. Je veux oublier ses phrases, sa main enroulée autour de mon bras, ses doigts autour de mes joues. 

- Laisse moi tranquille, je souffle.

Il ricane.

- Hors de question, t'as bien cherché ce qu'il t'arrive. 

Il approche son visage du mien, si prêt que je retiens ma respiration pour ne pas sentir son souffle se mêler au mien. Et puis il pose brutalement ses lèvres contre les miennes. Mes larmes incendient mes joues tant elles sont chaudes et douloureuses. 

- Lâche là ! 

Le garçon lâche ma main, m'étrangle à moitié avant de griffer mon cou en enlevant ses doigts de mes joues. Ses lèvres quittent les miennes. Je sens mes jambes trembler, puis devenir aussi flasques que de la gelée. Je m'écroule, les joues baignées de pleurs. 

Une main brune apparaît dans mon champ de vision. Mathieu. Je ne la saisis pas. Il s'accroupit et me sert dans ses bras. Je frissonne.

- Je suis là, ma jolie plume...

Charline, réveille-toi...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant