Je détaille son corps, si fragile et si blanc au milieu de toutes ces machines. Ma gorge me fait mal à force de parler, mais il est hors de question que je m'arrête. J'aime à l'imaginer se battre contre ses ténèbres avec ma voix pour arme. J'aime à l'imaginer pleine de vie, guidée par l'étincelle de ses yeux, dans ce corps désarticulé. C'est une guerrière. Elle me l'a promis !
La culpabilité m'étoufferait si je m'arrêtais. Elle est là, tapie juste à côté de mon coeur, monstre grognant la bave aux lèvres, que jamais plus je ne reverrais les lignes magnifiques de ses doigts quand elle peint, ses étoiles rousses remuer à chacun de ses sourires ou l'éclat qui pétille dans ses iris émeraude. Je dramatise tout mais je ne parviens pas à m'en empêcher.
Je tiens debout depuis presque trente heures. Beaucoup trop d'après le médecin qui m'exhorte depuis ce matin à aller me reposer. Mais comment me reposer alors que ses traits ciselés restent aussi inexpressifs que lorsque je l'ai vue lire les commentaires sous cette photo horrible ?
La fin de la nuit dernière est passée lentement, douloureuse tant l'espoir pulsait dans mon coeur. Je ne pouvais pas la voir, je savais seulement son front couvert de sang, son état fiévreux et ses étoiles rousses masquées d'ecchymoses violettes. Sa couleur de ciel préférée. Et désormais, la couleur que je déteste le plus.
Et ensuite une journée, dure, longue, grise. Apathique. C'est l'état dans lequel j'ai plongé la première fois que je l'ai vue, allongée au milieu de toute cette pollution sonore, une sonde dans le nez et une aiguille plantée dans sa jolie peau de nacre. Pour la première fois depuis notre rencontre, je l'ai vue fragile comme elle l'était depuis quelques mois.
Pour la première fois, sous le tissu léger de sa blouse, j'ai vu ses côtes qui perçaient sa peau, le creux de son estomac et les entailles sur ses poignets. Pour la première fois, je me suis dit que le fait qu'elle mange si peu et saigne trop fort était grave. Bien trop grave pour n'avoir pas réagi avant.
Et la culpabilité m'a mordu. Poignante, elle torturait ma poitrine. Alors je me suis plongé dans mon état apathique, assis sur une chaise en plastique blanc à son chevet. J'ai regardé le ballet des médecins entrer et sortir de sa chambre, m'adresser des faux sourires de réconfort, j'ai regardé sa mère incendier son père, puis son père serrer sa mère dans ses bras.
Moi je n'existais pas. C'est rare, quand cette jolie famille est rassemblée, que j'existe vraiment. Mais à ce moment là, j'avais besoin de faire quelque chose. Parce que j'avais le sentiment que si je me laissais effacer, plus rien ne la relierait au monde.
Et je me suis mis à lui parler. J'avais lu quelque part que ça aidait les gens dans le coma. Elle n'était pas dans le coma mais j'avais autant peur que si elle l'étais. Alors c'est ce que j'ai fait. Toute la nuit. Et maintenant que l'aube, froide et triste, drape de lumière la chambre vide de vie, je continue de lui parler, les cordes vocales en miettes.
Mais je sais que bientôt, bien plus tôt qu'on ne le croit, les pépites de vie des yeux de Charline brilleront à nouveau, que ses boucles de feu ruissèleront à nouveau sur son dos échancré et que son sourire donnera vie à ses étoiles rousses. Elle s'est réveillée je l'ai vue ! Plus qu'une question de temps avant qu'elle n'ait la force de sourire...
Charline est une guerrière, et quand elle aura vaincu ses ténèbres, elle recevra toute l'aide qu'elle mérite pour se sortir de sa situation difficile. Je me le suis promis. Et on ne trahi pas les promesses qu'on me fait.
J'attrape la main encore toute chaude de Charline. J'effleure la balafre si longue sur son poignet que les médecins ont du la recoudre. Un point. Déjà trop. Je sais qu'elle tache sa peau de porcelaine depuis des semaines. Mais j'ai confiance en elle.
- Allez jolie plume, on attend tous de voir tes beaux yeux briller à nouveau...
Dans ma main accrochée à elle, je sens les jointures de ses doigts trembler. Puis ses doigts se referment autour des miens et un infime sourire relève les coins de ses lèvres.
Charline la guerrière a encore de belles années devant elle, et j'essaierai de l'aider à en profiter. Promis.
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Charline, réveille-toi...
Teen FictionMes paupières se ferment. La douleur est tellement forte que j'ai l'impression qu'elle va me rendre folle. Je sens mon sang dégouliner le long de ma tempe, loin de rouler comme la jolie perle qui roule sur le doigt parfait de la Belle au bois dorman...