Souvenir •4•

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Appuyée contre la grande fenêtre de ma chambre, je regarde le ciel nocturne. Je n'arrive pas à dormir. Depuis peu, des cernes tatouent la peau de mes joues. Elles se voient beaucoup, violines sur du blanc nacré. Je les déteste, parce que j'aime l'étincelle de vie de mes yeux et qu'elles la cachent un peu.

Je n'arrive pas à dormir. Je l'ai dit à Mathieu, par message. Il ne m'a pas répondu. Normal, à deux heures du matin il doit certainement dormir. Il m'a juré des milliers de fois qu'en cas d'urgence je peux l'appeler et qu'il m'écoutera peu importe l'heure. Mais je ne sais pas si c'est vraiment une urgence, une insomnie.

Je serre mon portable entre mes mains très fort, et si les jointures de mes doigts blanchissent, c'est impossible de le voir. Je déteste ma peau, j'ai l'impression que toute la honte que j'y garde transparait derrière ce voile diaphane.

J'adore les étoiles. Elles ont toujours été le symbole de l'espoir pour moi. J'aime la nuit, et j'aime encore plus le passage de la nuit au jour ou du jour à la nuit. J'essaie, comme à chaque fois que je suis assez éveillée pour contempler ces astres lointains, de chevaucher le vent qui s'infiltre dans ma chambre à travers la fenêtre ouverte pour les rejoindre. Mais, si d'ordinaire j'arrive à tout imaginer, cette fois j'ai l'impression d'être lourde, terriblement lourde. C'est peut-être parce que je mange trop ? J'ai eu des commentaires à ce sujet. Je devrais peut-être les écouter...

Brusquement, j'ai envie de me jeter sur mon lit et d'appuyer sur la petite icône colorée, responsable de tous mes supplices. Mais l'est-elle vraiment ? C'est de ma faute après tout, c'est moi qui ai accepté, moi qui ai rit, moi qui l'ai aimé. Qui ai aimé l'attention qu'il me portait ? Je regrette, mais j'ai appris durement que les regrets ne servent à rien. A part à s'étouffer de rancœur, de douleur, de honte.

Je me retiens à grand peine en me souvenant des élans de douleur que ça provoque dans ma poitrine. J'ai envie de me réfugier dans les bras de Mathieu, dans son odeur douce et ambrée, dans ses yeux si clairs qui trouent sa peau si foncée. Mais il ne me répond pas, je le sais parce que si c'était le cas, mon portable aurait vibré et j'aurais souri.

Lourdement, comme tous mes gestes en ce moment, je m'arrache du spectacle de la nuit. Ces étoiles sont mortes depuis longtemps. Pourtant, leur lumière continue d'éclairer le ciel. Elles font semblant et c'est réaliste, comme les sourires que j'offre à ma mère ou les paroles que je mens à la voix de mon père.

Je me laisse tomber sur mon lit. J'appuie sur le nom de Mathieu. Je regarde le téléphone vert, là, tout près de mon pouce. Ce serait si simple de me recroqueviller dans sa voix, de me perdre dans ses mots, d'y oublier les miens, de maux. Mais je résiste. Si je le réveille, demain, il va passer une mauvaise journée. Et je ne veux pas que lui aussi, il passe une mauvaise journée.

Alors j'étends mes bras, étire mes épaules, fais rouler ma nuque. J'ai l'impression que tout en moi est bloqué. Et que malgré tous mes efforts, je n'arriverai pas à le débloquer. L'ennui, insipide et malicieux, prend doucement possession de mes pensées.

Par dépit, j'amène à nouveau mon portable face à mes yeux. Toujours aucune réponse de Mathieu. Je le déverrouille. Et sous la clarté laiteuse de la lune et de ses soldats brillants et la lumière bleue de l'écran, j'appuie sur l'icône colorée.

Je vais sur mon profil. Descends le fil des notifications. Des dizaines de nouvelles notifications, des tags, des commentaires, des profils que je n'ai jamais vus qui se manifestent bruyamment. Je ne suis pas sûre d'aimer cette nouvelle popularité. J'appuie sur l'un d'eux et je me sens submergée par tous les mots durs, moqueurs, incrédules qui s'encrent dans mon esprit.

Loin de la surprise de la première fois que j'ai vu cette vague déferlante de mots, je ne ressens qu'une douleur amère et vague. La même qui m'empêche d'ouvrir comme d'ordinaire la porte de mon atelier pour y peindre les courbes à qui j'aime donner vie.

Je ravale mes sanglots, les place dans le coin que je leur ai aménagé, là, juste à côté de mon cœur, dans ce trou dans ma poitrine. Et, n'y tenant plus, j'appelle Mathieu. Il répond à la première sonnerie. Sa voix est rauque de sommeil. Quelque chose tremble dans ma poitrine mais je refuse d'y croire, pas après ce qu'il a provoqué.

- Jolie plume ? Quelque chose ne va pas ?

Je réprime l'envie de me mettre à pleurer.

- Je n'arrive pas à dormir, leurs commentaires m'obsèdent Mat... Je ne sais pas comment faire pour les oublier ou au moins les ignorer  ! Est-ce que ça veut dire que je suis faible ?

Je l'entends émettre un grognement étouffé.

- Tu n'es pas faible jolie plume. Tu es un guerrière, tu te rappelles ? Les étoiles veillent sur toi, Charline. Tu as seize ans, tu sais t'occuper de toi. Tu peux réussir à dormir, parce que tu ne mérite que des rêves et que tes étoiles tiennent les cauchemars à distance.

Il a le don de calmer mes peurs les plus profondes. Mais quelque chose m'a fait tiquer. Seize ans, m'occuper de moi. Alors pourquoi me suis-je mise dans cette situation ? Comment n'ais-je pas vu ses intentions avant qu'il ne les mette en application ?

- Merci Mathieu. Passe une bonne nuit.

- Bonne nuit jolie plume, laisse les étoiles éloigner tes cauchemars.

Mon étoile, c'est lui. Je raccroche en hochant la tête, mais un commentaire est marqué au fer rouge sur l'écran de mes paupières closes "Wa, ça se voit pas sous ses pulls mais c'est qu'elle est vachement grosse !"

C'est probablement vrai. En plongeant dans des rêves agités, je me promets de ne plus jamais manger autant qu'avant.


Charline, réveille-toi...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant