Souvenir •7•

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J'ai dit à Mathieu de ne pas venir cet après midi, je me sens trop mal. À tel point que n'importe quelle manifestation de tendresse ou de pitié m'écœure. J'ai mal au crâne et envie de vomir, je ne sais pas si c'est parce que ça fait plusieurs jours que je mange peu ou si c'est parce que je me dégoûte tellement.

Ma mère est inquiète, mais je crois qu'elle pense que ce n'est qu'une petite passe. Il est hors de question que je la déçoive. Je n'aurais jamais dû accorder ma confiance. Elle pense que j'ai une gastro je crois. Je ne sais pas si ce serait pire.

Elle est partie au travail, mon père est en déplacement. Elle culpabilisait beaucoup, mais c'était une réunion qu'elle ne pouvait pas rater. À elle aussi, je lui ai dit de ne pas rester. Je voulais rester seule avec mes problèmes parce que c'est de ma faute si j'en suis là. Mais je me sens terriblement seule maintenant...

Je suis terriblement seule maintenant.

Je pose mes yeux sur mon portable. Je le déverrouille. Je regarde la publication. Mon corps, presque nu, mes yeux, débordants d'amour. Mes taches de rousseur, qui constellent mes joues pâles, mon sourire, qui constelle mes yeux vifs. Incroyable la vie qui se dégage de moi.

Je caresse ma joue, sur l'écran, et une larme la dévale, en vrai. Une seule. La seule démonstration de ma peine. De la douleur. De l'incompréhension. De la honte. Ma description. Non sa description. Je commence à confondre mes actes avec les siens. Mais après tout, n'est-ce pas de ma faute ? Quelle idée de l'avoir laissé utiliser mon portable...

Je ne peux pas m'empêcher de relire encore et encore les commentaires. Apathique, le regard torve, je survole les lettres, qui s'assemblent, se séparent, se mélangent jusqu'à ne former plus qu'un ensemble confus de lignes dans ma tête. Je crois que si je les lisais encore une fois, j'en mourrais.

Je ne pleure pas. Je n'y arrive pas. Je crois que ce serait trop libérateur et que moi, je n'ai pas le droit d'être libérée. Je serai enchainée par mes actes à tout jamais. Impossible de se construire une nouvelle réputation, impossible de se trouver un travail, et impossible d'effacer cette photo et ses dizaines et dizaines de partages.

Je crois que tout mon lycée est au courant. En tout cas, j'entends mon nom siffler partout, dans tous les couloirs, dans toutes les discussions. Dans tous les regards. Dans tous les ricanements.

Je n'ai plus envie de peindre. Les taches de peinture qui autrefois se battaient avec mes taches de rousseur pour la conquête de ma peau blanche n'existent plus. Elles ont été lavées au Black Spirit. Ma créativité s'est noyée dans les flots noirs qui débordent de ma tête.

Comme ankylosée, je me lève. Mes jambes tremblent du manque de nourriture et de la longue attente prostrée mon lit. Ma main tremble quand j'attrape la paire de ciseaux bien lavée qui est posée sur ma table de nuit. Comme pour m'encourager, ma manche tombe, en dévoilant les longues balafres sur mes poignets de nacre.

Huit. Je sais qu'il y en a huit. La première s'est presque effacée, ça fait une semaine qu'elle témoigne de mon mal-être, là, tatouée sur mon poignet. Tremblante de honte et d'attente, je me dirige vers la salle de bain attenante à ma chambre.

Je pose le dos de ma main sur le bord de la vasque. D'un geste devenu précis, je fends ma peau fine. Hypnotisée et fascinée, je regarde le sang couler sur le linceul blanc de mon âme et puis tacher le lavabo.

Je le regarde disparaître. La douleur qui émane de mon épiderme est salvatrice. Elle me sauve de celle, tellement plus étouffante, de mon cœur. Elle me sauve de celle, tellement plus sombre, de ma poitrine. Elle me sauve de celle, tellement plus destructrice, de mon esprit.

Alors encore une fois, je cisaille ma peau. Je savoure la souffrance. Je recommence. Encore. Et le rouge sur le blanc me fait du bien parce que je suis fatiguée de cacher mes sentiments.

Et puis j'attrape la serviette bordeaux, essuie mon bras dedans, ouvre le robinet. Un profond jet d'eau chasse les dernières traces de carmin. L'eau qui chasse mon sang. La douleur qui chasse la douleur. Logique.  

Charline, réveille-toi...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant