Requiem

Chapitre II-2

Son sourire triomphant m'alerte immédiatement d'un truc que je ne semble pas encore avoir remarqué. Me demandant bien de quoi elle parle, je dirige mon regard vers mon cahier, qu'elle désigne de son doigt squelettique ornée d'une gigantesque bague rose bonbon écoeurante. Sans comprendre je fixe pendant de longues secondes mon cours de français, que je pense constituer de seulement quelques pauvres notes prise à la va vite entre deux dessins qui remplissent mes marges.

L'horreur se peint alors progressivement sur mon visage, et l'affreux gloussement que pousse la maîtresse de la salle fais rapidement monter l'angoisse en moi. Sous mes yeux ce ne sont pas seulement quelques notes que je lis, mais des paragraphes entier de quelque chose que j'identifie comme étant mes pensées, après en avoir lu quelques lignes.

Toujours aussi perturbée je tourne le regard vers ma main, dans laquelle j'identifie mon stylo plume et dont le bord en contact avec le papier est légèrement recouvert d'encre bleue. Trop surprise pour réagir efficacement je me met à bredouiller quelque chose d'incompréhensible en tentant vainement de cacher le manuscrit. La bonne mère Rambouilly, impitoyable comme à son habitude, arrache mon cahier de la table d'un geste expert.

''-Voyons, voyons, la petite génie semble avoir été très attentive aujourd'hui ! Avoir pris autant de notes cela ne vous ressemble pas. Je crois même que ça ne vous est jamais arrivé ! ''.

Toujours aussi perdue, je ne réagis pas à la pique.Je tente vainement de comprendre à quel moment je me suis mise à écrire, et comment j'ai pu faire cela sans m'en rendre compte. Aurais-je atteint un nouveau stade où je ne distingue plus du tout ce que je fais et ce que je pense ? Aurais-je définitivement commencer de perdre la raison ? Je ne peux pas y croire, je refuse d'y croire, peut être la crise de ce matin était-elle celle de trop, j'ai du mal à comprendre comment j'ai pu en arriver là.

Je pressens maintenant le pire, je ne me souviens déjà plus ce que j'ai pu écrire dans mon cahier et j'ai très peur de ce que Madame Rambouilly peut y découvrir.  Totalement paniquée que je la vois ouvrir le cahier à la bonne page, se pencher sur la minuscule écriture en patte de mouche qui me caractérise, et lever de plus en plus haut ces gros sourcils au fur et à mesure de sa lecture.

''Eh bien, eh bien, quel chef d'oeuvre nous avons là...

Une expression de ravissement envahi le visage de cette sorcière. Autour d'elle les élèves on cesser de me fixer, ce qui relève du miracle. Ils semblent désormais fasciné par l'objet que détient mon oppresseur, et de ce qu'il peut bien contenir. Seule une personne n'opère pas le même manège que ses camarades. Il s'agit de Mélissa, ma précieuse et unique amie dans ce monde de fou. Elle me lance un regard navrée, bien consciente que ce qui va suivre ne va pas être agréable du tout pour moi, et qu'elle ne peut rien faire pour arrêter le massacre.

Effectivement ça ne rate pas. Aussitôt ses paroles prononcées, sans prévenir elle commence de lire à voix haute ce que j'ai retranscrit sur le papier fin et soyeux de cette unique page de mon cahier. Je souhaite à présent la voir disparaître dans l'instant où alors pouvoir m'échapper d'ici avant d'en arriver à l'humiliation que je pressens fortement.

C'est un supplice de découvrir en même temps qu'elle prononce à voix haute, ce que j'ai écris. Chaque phrase supplémentaire me confirme que je cours droit à la catastrophe, à l'incident diplomatique même, vu la tournure que prennent les choses.

Les élèves sont soufflés par l'audace de mes propos, pour une fois de plus je passe pour l'élève prétentieuse, qui pense avoir tout compris à la vie. Ceci est peut être vrai, et je peux ou plutôt je veux bien vivre avec cette vision erronée qu'a mon entourage de moi. Cependant ce que je ne peux supporter, c'est l'étalage de ma vie privée qu'est en train de réaliser mon bourreau. L'enterrement définitif de ma vie sociale est en train de se dérouler implacablement devant moi, et je ne peux rien y faire.