Chapitre 1 : Reconstruction.

4.7K 215 182
                                    


Joey raccroche et annonce :

— Papa vient d'arriver.

Marcus, dernier de la fratrie, range sa Nintendo dans son sac et bientôt on franchit la porte tourniquet de l'aéroport. Brusque et douce à la fois, la brise du matin nous fait l'effet d'une plume sur la peau. Bientôt, on entend une portière claquer dans le parking lorsqu'on aperçoit un grand et lourd monsieur à la peau café.

¡Chicos de Alfonso! Pas trop fatigués du voyage ? s'enquiert-il en nous prenant dans ses bras.

Je me retiens de rouler des yeux. Mon père a cette manie de nier ma féminité dès lors qu'il faut parler de l'ensemble de ses gosses. Gosses dont j'ai d'ailleurs le titre de grande-sœur.

— Si ! on clame d'une même voix mes frères et moi.

— Bon, montez. Je m'occupe de vos valises.

Il n'a pas à insister pour qu'on grimpe tout de suite dans la voiture. Exténués, aucun de nous trois ne s'éternise sur le nouvel environnement que nous offre cette métropole du nord des États-Unis. Boston.

Je m'endors sur l'épaule de Joey.

*


— Comment c'étaient les vacances, alors ? demande maman après une gorgée de vin.

— Comme d'hab, répond Joey en haussant les épaules.

— J'veux bien rentrer pour les vacances de Noël ! On pourra ?

De la nostalgie dans le regard, Marcus espère que mes parents disent oui.

— Mh. On verra, répond néanmoins mon père, pas franchement enchanté.

Pourtant, le cadet de la maison esquisse un sourire triomphant.

— Et toi ? me demande maman.

Je lève les yeux de mon assiette et croise ceux de mes parents. Vu l'appréhension que j'y vois, on dirait que mon avis compte double.

— C'était cool.

Je mâche mon poulet.

— Mais, jamais aussi cool que c'qui m'attend ici, tiens...

Autour de la table, tout le monde capte l'ironie bien amère de ma réplique que j'ai souhaité dans un murmure pourtant ? Merde !

En face, maman n'a besoin que d'un regard -dont elle seule a le pouvoir- pour que je culpabilise aussitôt alors que mon père soupire :

Ça suffit, Benedict ! Tu sais très bien pourquoi on est là, aujourd'hui. Alors, sois plus intelligente et arrête de nous faire chier avec tes caprices !

De plus en plus petite sur ma chaise, je ne bronche pas.

— A côté, tes frères sont plus matures, oh !

Joey et Marcus me consultent une seconde du regard, mais je détourne déjà le mien. J'ai honte. C'est rare que mon père se montre aussi amère. Je dois me rattraper. Mais, comment ? Je me résigne au silence. Sauf que ce dernier finit par surplomber la table dans une ambiance pénible ; et parce que je ne sais plus où me mettre j'annonce :

— J'vais débarrasser mon assiette.

En réalité, je range mon plat dans le micro-onde. Du gâchis quand je pense à ce riz et ce poulet marinés dans une sauce sucrée-salée à l'ananas que maman a préparé en l'honneur de notre nouveau départ. Pour compenser ma désertion, je fais la vaisselle des deux-trois marmites qui traînent dans le lavabo. Putain d'orgueil !

Un miroir à travers le regard.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant