Prologue.

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Mon téléphone vibre dans la poche de mon sweat. C'est un message de Laurel.

« Tu veux que papa crève de désespoir ou quoi ? » -12:26.

Je fronce les sourcils avant d'envoyer :

« Qu'est-ce que j'ai fait encore ? » -12:27.

Trois minutes passent et ma sœur ne répond toujours pas. Quand mes doigts s'empressent de relancer la question, mon téléphone me fait faux bond. Il s'éteint.

— Merde...

Plus de batterie.

— Et voilà votre commande !

Un mec dont le bandana couvre des dreads longues jusqu'au cou me tend un sac imprégné de la même couleur que son T-shirt signé : Roldán's Resto. Je le remercie et au même moment cette fille que je regardais encaisser les chicanes de deux garçons là-bas prend la sortie du restaurant.

— Bon ap ! me souhaite le serveur.

Je l'ignore volontairement, captant à travers son sourire désinvolte qu'il m'a pris en flague. Quand je passe la porte du restaurant, j'aperçois de nouveau la fille de tout à l'heure. Elle fouille quelque chose dans le compartiment avant d'une voiture. La mienne est garée à côté. Sans réfléchir, je me mets derrière elle, avec tout de même deux mètres de distance, et l'observe claquer la portière de cette vieille auto que j'imagine mal être la sienne. Bientôt, elle se retourne, et un peu trop vite, tandis qu'elle se prend mon torse dans la figure.

— Hé ! s'écrit-elle en reculant, la main sur son nez.

J'enlève ma capuche.

— Excuse-moi. Tu m'laisses ton téléphone deux secondes ?

Elle reste d'abord silencieuse et ce que je vois à travers son regard me laisse perplexe. Aucune surprise, ni sentiment de dégoût, ne la traversent contrairement à ce qu'éprouvent d'habitude les autres devant cette cicatrice qui me bouffe la moitié du visage. En face, ses yeux ne quittent plus les miens, conscients de leurs couleurs un peu plus claires à cette période de l'année. Je fronce les sourcils. C'est pas possible que ça ne lui ait rien fait.

— Tiens.

Elle me tend son téléphone qu'elle sort de la poche arrière de son jean. Un peu trop facilement. Elle me pose même pas de questions ?

— Merc...

— Une seconde.

Alors que j'empoigne un bout de son téléphone et elle l'autre, pendant deux secondes a lieu une lutte acharnée pour savoir qui va gagner.

— Dis-moi au moins pourquoi t'en as besoin. J'me sentirais un peu bête de te voir courir avec.

Elle sourit, une lueur malicieuse dans le regard, et je sais qu'elle ne me croit pas capable de partir en courant avec son téléphone. Je ne suis pas aussi cruel, effectivement. À vrai dire, elle réussit à m'arracher le même sourire qui pointe dans le coin de ses lèvres.

— J'aimerais juste appeler quelqu'un d'important. C'est à ça que ça sert d'abord un téléphone, non ?

Là, un grand sourire qu'elle s'efforce de contenir -en vain- lui tire les lèvres. Je la regarde.

Une de ses deux dents devant dépasse un peu l'autre, comme partie trop tôt d'une course. Un défaut qui fait toute la beauté de son sourire.

Ouais, je la trouve belle en train de sourire sous ce soleil mettant en lumière la longueur de ces cils, en plus de cette moue candide que lui font ces pommettes saillantes. Je l'observe toute entière cette fois.

Elle est habillée tout de noir et seuls ses baskets rouges illuminent sa tenue bien banale : un T-shirt et un skinny. Avec des cheveux tirés dans une couette aussi épaisse qu'un bouquet de fleur, devant son bandeau tend à plaquer les petits cheveux rebelles de ses racines crépues.

— Merci, je lâche dans un murmure qui me surprend moi-même.

Et je m'éloigne pour me caler contre ma voiture avant que je ne me perde vers d'interminables contemplations pour cette fille. D'autant plus qu'elle reste perplexe à côté, j'imagine embarrassée de ce regard imprudent que je lui ai longuement voué. Bref, je compose le numéro de ma sœur.

— Oui, allô ?

Cette voix un peu roque et douce à la fois suffit à balayer cette confusion qu'a éveillé ce sourire trop plein de générosité.

Laurel.

Une rebelle en déclin, aujourd'hui beaucoup plus calme et posée, mais surtout bientôt mariée. La seule au monde à détenir le code barrant l'accès de mon cœur.

— C'est moi.

— Daniel ? C'est pas trop tôt ! J't'ai appelé vingt fois ! Qu'est-ce que tu faisais ? Et il sort d'où ce numéro ?

— J'ai plus de batterie sur mon tél. Mais, peu importe. C'est quoi l'problème avec papa ?

Silence.

— Il m'a appelé pour me dire qu'il ne savait plus quoi faire de toi...

Je fronce les sourcils, craignant qu'il me somme de faire demi-tour. Mais, impossible. Je dois passer la journée avec ma sœur et on compte bien manger ces *empanadas que j'ai acheté pour elle et moi. C'est Laurel qui m'a fait découvrir ce restaurant devenu mon péché mignon. Ma soeur me manque maintenant qu'elle ne vit plus à la maison. Si je suis  énormément proche d'elle, c'est plus compliqué avec mon père. On a du mal à communiquer.

— Ce matin oncle Eric est passé à la maison pour prévenir papa de tes absences. Il paraît que tu fous rien en cours. Bon sang, Dani ! me gronde-t-elle.

Je fronce les sourcils. L'enfoiré !

— Écoute. Je sais que ça a toujours été dur pour toi, mais là stop ! T'es en train de foutre en l'air ton avenir et personne n'a envie de voir ça. Je t'aime trop, p'tit frère !

Je dis rien. Ça rumine dans ma tête. A côté, elle, elle est toujours là, calée contre la voiture dans laquelle elle a récupéré ce que j'identifie à présent comme un paquet de cigarettes. Pourquoi elle en fume pas ?

J'observe encore une fois son profil et elle tourne les yeux. Un malaise me prend aux tripes, pris deux fois au dépourvu, alors que je vois à travers son regard qu'elle saisit lentement mais sûrement mon moi profond, celui-là même que je m'efforce d'enfouir le plus loin possible. Finalement, ses yeux glissent avec un sensible dégoût sur ma cicatrice pour s'y accrocher définitivement.

— Hé... ça va ? me demande-t-elle en se raclant la gorge.

Mais, je sais que cette aversion maintenant palpable sur mon visage, l'inquiète plus que mes états d'âme.

— Tiens.

Dans un élan de colère que je n'arrive pas à réprimer, je lui rends son téléphone. Tant pis pour Laurel. Je jette ma commande dans la voiture et mets le contact.

J'ai détesté cette vulnérabilité ressentie en face de cette fille.

*empanadas : pâte feuilletée farcie à la viande, poisson, etc.




***




Big_Eyz 💕

Un miroir à travers le regard.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant