Chapitre 49. Partie II : Point de rupture.

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— Et dire qu'on chambrait tout l'temps Dani. Les gars, c'est lui qui est en couple là !

Toujours aussi apathique sur la banquette du restaurant, le solitaire donne un coup de coude dans le ventre renflé de Jim, et celui-ci répond par un furtif baisé sur le dos de sa main.

— Tu sais que je t'aime ! raille-t-il de nouveau.

Vince, Charlie, et moi, on rigole.

Après la proposition de Jim tout à l'heure, j'ai roulé jusqu'au centre-ville de West Hartford avant de garer le pick-up de Vince -aucun d'eux n'avait la force de conduire- à peut-être quinze minutes d'ici. On en a profité pour marcher jusqu'au fast food le plus proche tandis qu'ils laissaient leur veste et cravate sur la banquette arrière. KFC remportant haut la main les votes, on a commandé un sceau de poulets, des glaces, et les garçons se sont serrés sur la même banquette. Assise en face, moi je les écoute ressasser le passé, mais aussi le présent alors qu'ils jouent tous les trois dans le club de foot de l'un des huit campus de la *Ivy League -rien que ça !

Bref. J'ai compris ô combien les vieux potes de Daniel auraient aimé l'avoir dans l'équation de cette vie étudiante qu'ils partagent en coloc', tandis que Jim et Charlie suivent les cours d'informatique d'une école privée située dans le campus de New Haven, quand Vince étudie les sciences politiques à l'université de ce même campus : Yale. La crème de la crème !

C'est dans ces moments là que les disparités entre Daniel et moi me sautent aux yeux. Ici, le fameux capital économique et culturel qui assure à chacun -presque- de grandes et prestigieuses carrières est à portée de main, quand au contraire ma petite de bande de Miami et moi devons s'acharner pour l'assimiler.

— Benedict. Raconte comment vous vous êtes rencontrés avec l'autre rabat-joie ! me demande Charlie.

Ces yeux cannabis brûlent de curiosité sous ses boucles.

— Ouais ! Puisque monsieur a coupé tout contact avec nous ! renchérit Jim. On veut savoir comment notre coincé du cul préféré a fait pour piquer une fille aussi mignonne que toi !

Vince tape le crâne de son pote et même si je trouve ce dernier un peu lourd, je glousse, la cuillère de ma glace entre les dents, le regard du loup solitaire sur moi, et rien que moi. Il fait mine de s'en moquer, mais je sais qu'il est curieux d'entendre ma réponse lui aussi.

— J'hésite entre coincé du cul ou ridicule mauvais garçon. Mais, c'est clair que c'était pas gagné d'avance ! je fais moi aussi du sarcasme.

Et de manière effrontée, je défie ces yeux de cristal pour lesquels je suis tombée amoureuse. Quand je repense à toutes ces misères que j'ai enduré depuis que je le connais, je me dis que tout ça avait beau être toxique, aujourd'hui ça en valait bien la peine, non ? Je l'aime trop !

— Après, faut juste savoir apprivoiser l'garçon, je leur glisse comme un secret, sourire railleur sur les lèvres, moi aussi.

Daniel s'efforce pour ne pas rigoler alors que ses potes le charrient et de les voir aussi fusionnels, là, devant moi, je me demande pourquoi le solitaire a coupé les ponts avec ces garçons qu'il considérait comme ses frères. Après la mort d'une amie en commun, n'étaient-ils pas les piliers sur qui compter ?

Ils m'ont envahit de questions ensuite, et parce que je sais qu'ils essayent de penser à autre chose que la mort de leur ami, je leur ai volontiers raconté quelques anecdotes de ma vie à Miami, moi aussi, non sans une une pointe de culpabilité dans la poitrine.



*


Après avoir débarrassé notre plateau, on sort du restaurant dans une joie douce-amère alors que même le blond rigole à s'en faire mal au ventre à côté des garçons ; et il n'y a vraiment que ces maudites chaussures qui gâchent ma joie. Elles me font tellement mal ! Alors, je ralentis le pas et les retire, embrassant ainsi le pavé chaud sous mes pieds. Ça fait du bien !

Un miroir à travers le regard.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant