Chapitre 2 : Âmes en conflits.

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C'est sans maman qu'on rejoint le restaurant et pendant que mon père conduit son vieux 4x4 de l'an 2000, résonne dans l'habitacle de la Rumba Cubaine. Je contemple la ville qui défile à toute allure autour de la voiture. C'est différent ici.

Il n'y a pas cette ambiance du sud où les gens se baladent avec la chemise ouverte en V, bermuda aux jambes, crop top au-dessus du nombril, et jupe jusqu'en haut des cuisses. Il n'y a pas non plus ce soleil dont les faisceaux baignent de lumière la côte, ni ces palmiers qui ombrent les rues, et font l'ambiance si balnéaire de Miami. Ici néanmoins, les rues qui longent immeubles et maisons fondés sur grès rouge ont aussi leur lot de charme.

Dans le quartier où s'aventure la voiture, j'y vois mon quartier parmi les plus précaires dans la banlieue de Miami. Entre fresques et graffitis, se mélange dans un cocktail bien atypique Homer Simpson, Wonder Woman, et Mumia Abu Jamal. Du Street Art comme on l'aime dans ce petit quartier de Roxbury.

— On est arrivé, les enfants ! annonce papa après s'être garé.

Je claque la portière et reconnais la façade de l'édifice.

Le Roldán's Resto.

« Ils se sont vraiment pas foulés ». C'est ce que j'ai pensé la première fois qu'on y mettait les pieds l'an dernier. Roldán, c'est ni plus ni moins que mon nom de famille et je trouve ce choix pas très original -même si je vais pas mentir en niant la satisfaction que procure d'avoir son patronyme devenu public.

Quand mon père ferme à double tour la voiture, on le suit dans le restaurant. L'intérieur est ni trop grand, ni trop petit, digne d'un resto familial. Peu lumineuse, seule la baie vitrée de la devanture donne un peu d'éclat à cette salle qu'on devine tamisée une fois le soleil couché. Encerclée de murs en briques, plusieurs tables en bois occupent les lieux au charme rustique. Enfin, deux employés se roulent les pouces au niveau du comptoir quand une dizaine, même pas, de clients mangent, bavardent, et boivent, avec en fond les commentaires d'un combat de catch à la télévision.

Pendant qu'on s'installe, mon père se charge de nous faire servir avant de s'éclipser à l'arrière où se trouve aussi la cuisine.

— J'rencontre enfin les p'tits patrons ! j'entends dans ce marasme de bruits que font la cuisine et les clients.

En relevant les yeux, je découvre un garçon au teint cuivré dont le bandana orange couvre des dreadlocks. Un troisième serveur que je n'avais pas vu plutôt. Il nous sert nos assiettes.

— Moi, c'est Adrian.

Il me serre la main après être passé par mes frères et on se regarde une seconde de trop.

— Bon ap' ! nous souhaite-t-il après qu'on se soit également présenté.

— Merci.

Il fait un signe de tête aux garçons et me tend un sourire qui tire ses yeux en amandes. Il est mignon. Quand il repart, je découvre nos assiettes remplies de bananes plantains et d'une sauce d'haricots rouges. Évidemment, ici la spécialité c'est la comida criolla -nourriture créole d'Amérique du Sud.

Pendant que mes frères et moi mangeons avec en accessoire un débat sans fin pour savoir « qui bat qui ? » entre John Cena et Randy Orton, la porte s'ouvre sur un garçon qui rejoint directement le comptoir. Bientôt, mes deux mioches de frères se jettent dans une bataille acharnée quand moi je scrute l'autre garçon. Son mètre quatre-vingt a attisé ma curiosité. Mais, la capuche de son sweat ne me laisse voir que le profil de son nez filiforme.

Un miroir à travers le regard.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant