Chapitre 35 : Trop tard.

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Après avoir claqué la porte derrière moi, je me laisse tomber sur mon lit. Un soupir m'échappe et je passe mes mains sur mon visage.

Je suis pas bien.

Pourquoi la voir en dehors du bahut me trouble à ce point ? Pourquoi mon cerveau flanche après tant d'indifférence qu'on a réussi à feindre tous les deux ? Ce chagrin que j'ai vu luire dans ses yeux noirs m'a tellement déstabilisé que j'ai voulu la prendre dans mes bras. Mais, c'est trop tard.

— Daniel, j'suis rentré ! j'entends mon père hurler dans le vestibule. 

Benedict m'a vu avec Nina et je suis sûr qu'elle s'imagine des choses. Je suis un bon à rien ! Parce qu'au final, elle me manque.

Alors que je rumine trop longtemps, je finis par déserter ma chambre. Dans le séjour où la cuisine et le salon se regardent, mon père prend place contre le plan de travail ; et les yeux devant son Mac il prépare sûrement son prochain cours sur le taux d'inflation enregistré à l'année ou un truc dans le genre. A peine rentré qu'il se lance déjà ? C'est ça la vie de prof ?

— Bonsoir, dis-je lorsque j'ouvre le frigo.

— Oh, Dan. Tu vas bien ? il répond tandis que je lui tourne le dos. Il reste encore le plat d'hier si tu veux.

— OK.

Je tombe aussitôt dessus. Je réchauffe ensuite une assiette de tagliatelles avec blanc de poulet à la crème fraîche, puis m'installe à côté de mon père pour manger. L'appartement est désagréablement silencieux.

Ah, oui.

Sa quarantenaire de petite blonde n'est pas là ce soir.

— Elle compte s'installer quand Rachel ?

Surpris autant que moi de cette question que j'aurai pas pensé poser de sitôt, en-dessous de ses lunettes mon père tourne les yeux pour m'observer un instant. Bientôt deux ans qu'elle et mon père se fréquentent.

— Avec des enfants et un ex-mari peu enclin à disparaître de sa vie, c'est un peu compliqué, Dan.

J'oublie souvent que Rachel vit avec ses deux petites jumelles que j'ai vu deux ou trois fois. Je sais plus.

— Mais, bon. Ça me va comme ça.

J'acquiesce, peu convaincu, mais résolu à laisser le silence régner. On n'est pas du genre à s'épancher dans de longues discussions de toute façon. Quand je finis mon assiette, je la mets dans le lave-vaisselle et la voix de mon père m'arrête avant que je retourne dans ma chambre. 

— Daniel, si t'as envie de parler...

Pendant une seconde, je l'entends hésiter.

— Je suis tout à toi.

— C'est bon, mer...

Mais, je fais volte-face aussi brusquement que je change d'avis.

— Non. En fait, y a quelque chose...

Je passe une main nerveuse en travers de mon crâne.

— C'est en rapport avec les cours ?

— Non...

— On t'emmerde toujours ?

J'hausse les épaules. Je sais qu'on se méfie et médit toujours à mon sujet, mais depuis que je suis tombé sur Jolan dans le bureau d'oncle Eric, aucune horde m'a pris en guet-apens à la sortie du lycée ; sans doute parce que ses potes sont Jared, Malik, et les autres qui prennent aussi Benedict sous leurs ailes. Je suis comme épargné de toute vendetta.

Un miroir à travers le regard.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant