Chapitre 28 : Confusion.

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Devant le miroir, je rase ce trop perçu de cheveux qu'arbore mon crâne. Je balaye ensuite ce monceau de poils de mes tempes et mon torse, avant que je vienne parcourir de mes doigts cette cicatrice que je m'infligeais il y a trois ans sur mon poignet.

Elle me dégoûte.

Alors que je suis toujours sa route à travers le miroir, je suis tout à coup frappé par le bleu pâle de mon propre regard. Un regard brillant et pourtant si pâle que j'affronte tous les matins, comme j'affronte chaque jour cette autre minable cicatrice sur mon visage.

Je fuis rapidement tout ça et attrape mon sweat que j'enfile aussitôt. Je quitte la salle de bain pour le vestibule à l'entrée ; et baskets aux pieds, coupe-vent, plus mon sac sur le dos, je claque la porte avant de visser mon bonnet sur le crâne. Il est huit heures et quart, j'ai quinze minutes de retard, mais je presse pas plus le pas alors que je passe volontairement à côté de ma voiture ce matin.

Ça fait un peu plus d'une semaine que j'ai pas mis les pieds au lycée et je suis pas plus excité à l'idée d'y retourner. Je redoute la foule de regards qui me tombera dessus une fois foulés les couloirs du lycée. Hier, mon oncle est passé à la maison et de sa venue je m'en doutais depuis son passage à elle sur mon palier. Parce que c'est elle qui l'a informé de mes problèmes en croyant bien faire. Malheureusement pour moi, c'est devant mon père que tonton Eric nous a rapporté les accusations de Benedict. Toute cette histoire serait un coup monté de Jolan et une fille que je connais même pas.

D'abord ahuri puis indigné, mon père m'a évidemment soutenu plutôt que réprimander sous les yeux attendris de Rachel ; alors même que j'ai déserté le bahut toute une semaine durant laquelle je fumais tous les jours avec Nina. Un jour dans le square, l'autre sur le toit de la dernière fois, on s'obstinait à se faire des passes. 

Bref. Mon père a fini par comprendre mon désarroi, devinant très bien ce que cet acharnement provoque en moi. Or, c'est précisément ça que je voulais lui épargner.

J'en ai marre. D'être faible. Qu'on s'apitoie sur mon sort. 

Avant de partir, tonton Eric m'a sommé de revenir dès le lendemain au lycée alors qu'il me promettait de régler cette histoire.

J'ai plus le choix.

Dans la bouche de métro, je me faufile comme une ombre à travers la foule, la tête en bas sous ma capuche, les mains dans mes poches. Seule la musique qui pulse dans mes oreilles et jusque dans ma poitrine me donne la force de rejoindre cet enfer qu'est le lycée. En arrivant, je m'assois sur un banc à l'abri d'un arbre. Ce même banc sur lequel on s'est assis une fois, elle et moi. J'attends la deuxième heure.



*


Quand j'arrive au bout du self où je récupère mon dessert, je tombe sur le regard insistant d'une dame de cantine visiblement nouvelle ; et comme à chaque fois qu'on voit pour la première fois ma cicatrice, j'ai droit à ce mélange entre pitié et horreur dans ses yeux. J'attrape ma compote et m'assois à une table isolée du réfectoire.

La cantine.

C'est sans doute l'endroit du lycée que je déteste, mais redoute aussi le plus. Parce que c'est ici que les les élèves, aussi uniques soient-ils, se rejoignent pour devenir les vulgaires composants d'un groupe informe. C'est également ici que mes yeux se perdent au milieu d'une masse dépouillée de toute individualité, où les groupes marquent leur territoire, leur terrain, à travers tables assignées pour savoir qui attirera le plus l'attention. C'est ici que les murmures et regards en biais fusent sans scrupule sur les cas singuliers comme moi.

Ça me fout la gerbe.

Alors que je m'abreuve d'eau, je croise le regard de la fille avec des bagues sur les dents.

Un miroir à travers le regard.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant