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Difficile d'être d'avantage gênée.

Depuis que je fréquente Eden, grand père a l'intime conviction que nous ferions un beau couple. J'ai très peu d'amis et Eden est le seul qu'il apprécie. J'ai appris à le connaître et à l'apprécier comme un ami, je ne me vois pas évoluer vers ce genre d'engagement; et avec personne d'autre d'ailleurs, plus depuis ma dernière relation.

Eden tapote le volant avec nervosité. 

- Tu veux bien m'expliquer quelle mouche t'as piquée ce matin ?

Je me renfrogne. 

Juste une petite crise psychodramatique, tu sais ce n'est pas de tout repos de passer d'une dimension à une autre et de réapparaître dans un dressing; de parler à un Eden qui me déteste pour je ne sais quelle raison puis à un Eden gentil et affectueux; ou peut-être suis-je schizophrène et paranoïaque et cette mascarade n'est que le produit de ma folie.

- Aurore, insiste t-il, si quelque chose ne va pas, tu dois le dire, tu sais bien que je serai toujours la pour toi.

- Je ne veux pas en parler.

Ses mains serrent le volant. Il est à bout de nerf.

- Ne pas savoir où tu te trouvais m'a fait paniquer, encore une fois. On dirait que tu me fuis. J...je ne t'ai rien fait à ce que je sache ?!

- Non, tu n'y es pour rien.

Eden craque et pousse un grognement lassé.

- Mais alors que t'arrive t-il bon sang ?!

Le véhicule accélère brutalement, j'attrape Eden par l'épaule et le secoue.

- Arrête ! Ralenti ! On va avoir un accident ! RALENTI ! EDEN !

Eden appuie d'un coup sec sur le frein. Nos corps sont brutalement propulsés en avant et rattrapés in extremis par la ceinture de sécurité. J'entends un fracas dans le coffre et un feulement plaintif.

Mon ami regarde devant lui, la respiration haletante.

- Je... Je suis désolé, je ne me suis pas rendu compte... mon pied appuyait sur l'accélérateur.

Je reste immobile à fixer la route déserte devant nous. Mes mains tremblent, je jette un coup d'oeil au rétro-viseur pour vérifier qu'il n'y ait personne derrière nous. La voiture est proche du centre ville mais les routes sont heureusement peu utilisées en début d'après-midi.

- Gare toi sur la chaussée, dis-je d'un ton ferme.

Eden effectue la manoeuvre. Au même moment, un miaulement de protestation retenti de nouveau derrière eux. Un miaulement que je reconnais entre mille.

- Qu'est... qu'est-ce que Briou fait dans ta voiture ?

- C'est une longue histoire, répond Eden en éteignant le moteur. Ton chat a eu quelques problèmes avec la proprio de ton immeuble.

- Ma... propriétaire ? C'est quoi le rapport ? Et ça ne m'explique pas pourquoi ce pauvre matou est en ce moment même enfermé dans ton coffre !

Mon ami se passe une main sur le visage, visiblement agacé.

- Lorsque que tu as déboulé comme une furie dans les escaliers de mon immeuble pour t'enfuir chez ton grand père ce matin, saches que Briou a eu l'excellente idée de te courir après. Comme si ça ne suffisait pas, je me suis mis à mon tour à votre poursuite et j'ai évité de justesse que le chat ne passe sous une voiture.

Je hausse les sourcils. Décidément ce chat doit être suicidaire.

- Tu aurais vu son regard possédé, Il était devenu fou, un vrai démon ! reprend Eden en regardant furtivement l'arrière du véhicule. J'ai eu tout le mal du monde à l'enfermer dans le coffre de ma voiture, le temps que je te retrouve.

J'ouvre la portière et me dirige vers le coffre pour libérer le soit disant « démon possédé ». La lumière du jour laisse entrevoir une énorme boule de poil grise, pattes aiguisées à semi enfoncées dans le feutre, les dents affutées prêtes à mordre. Je grimace, c'est vrai qu'il n'est pas sous son meilleur jour...

Dès qu'il m'aperçoit, Briou se détend et son corps se met à désenfler. Lorsqu'il est redevenu le gros chat câlin que je connais, je le prends dans mes bras et le serre avec délicatesse. Qu'est-ce que ça fait du bien, il m'avait manqué ce petit fou. Tandis que je ré-ouvre les yeux, je remarque le regard morne de mon ami sur le chat.

- Comment peux tu être encore attachée à ce chat ? Tu as failli mourir par sa faute.

Je fronce les sourcils, contrariée.

- Non c'est faux. j'ai décidé de le sauver et j'en tiens l'entière responsabilité.

- Mais qu'est-ce qui t'as pris enfin ?! On ne se jette pas au milieu d'une route pour un... un chat ! s'écrie t-il en pointant l'animal dans mes bras.

Je sens la tension monter en moi.

- Ça va plus loin que ça.


******


Je m'avance à petit pas vers le local de ma proprio : petit bâtiment misérable de briques maronnasses dont seul le toit végétalisé apporte une lueur de gaité. Ce lieu dégage une ambiance morose, le portrait craché de sa propriétaire. Depuis combien de mois ne me suis-je pas confrontée à cette femme ? Trop peu je le crains. Avant de partir, Eden m'a indiqué que mes clés étaient dans son bureau. Je lui ai demandé qui avait payé mon loyer en mon absence mais il n'en savait rien.

Je déglutis, attends une bonne minute puis frappe trois coups sur la vieille porte en bois.

- Qui est-ce ? s'élève une voix croasseuse.

- Mademoiselle Nertcham, puis-je entrer ?

Une succession de cliquetis s'entrechoquent et la porte s'ouvre sur une petite femme trapu. Le regard aussi sévère que son chignon, elle lève automatiquement les yeux l'air désabusée.

- Tient donc, déjà revenue d'entre les morts ? me lance t-elle.

Charmante.

- Vous auriez préféré que je reste absente plus longtemps ?

- Jm'en fiche, tant que je suis payée et que votre ami Alan... Elan ou je ne sais quoi a fait déguerpir votre gros rat.

- Eden ? Mon rat ? Je n'ai pas de rat.

- Un espèce de rat énorme blanc et gris jacassait toutes les nuits en bas de votre fenêtre et réveillait tous les voisins. Je l'aurai étripé si un jeune homme n'était pas venu le chercher en quatrième vitesse. Encore un peu et sa tête aurait été empaillée sur ma porte.

- Vous parlez de Briou ? Le chat Briou ?

Elle balaie ma remarque de la main.

- Qu'importe, si vous cherchez vos clés, elles sont là, dit-elle en indiquant un porte-clef à ma gauche. Vous avez de la chance que l'on ait payé le loyer à votre place. Vous n'aurez peut-être pas autant de chance la prochaine fois.

Je deviens aussi rouge qu'une tomate. Elle va s'en prendre une si elle continue. Je prends une grande inspiration et déglutis.

- Vous faites bien de m'en parler, j'aimerai connaître le nom de la personne qui l'a payé.

- C'pas mes affaires, tant que je reçois l'argent c'est tout ce qui m'importe. Prenez ce pourquoi vous êtes venue et au revoir.

Elle me claque la porte au nez, l'appel d'air faisant voler mes cheveux.

Je la déteste, mon dieu que je la hais.

Je récupère Briou que j'avais laissé devant sa loge (heureusement), monte les escaliers, la tête pleine de questions. Qui a payé mon loyer ? Pourquoi le chat s'était-il mis à miauler la nuit à ma fenêtre, et pourquoi Eden l'avait récupéré ?

J'enfonce les clés dans la serrure mais celles-ci refusent d'ouvrir la porte. J'insiste, l'enlève puis la réinsère. La vieille harpie ne se serait tout de même pas trompée de clé ?

Soudain j'entends des cliquetis et la porte de mon appartement s'ouvre sur une jeune femme aux formes pulpeuses. Un débardeur brodé semi transparent et un short l'habille. Elle me regarde, de haut en bas, un sourire charmeur en coin.

- C'est pour quoi ?

BRUISSEMENTS D'AILES [RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant