Partie I - 1

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Un... deux... trois... souplesse arrière... quatre... cinq... six... demi-tour, roue, souplesse avant...

J'enchaine les mouvements, bercée par la musique rythmée de l'enceinte audio. Mes yeux sont clos, un sourire se dessine sur mes lèvres. Les muscles de mon corps dansent, submergés par le tempo. Ma chorégraphie est intense, alliance de mouvements rapides et de pas aériens. Je me sens bien; légère, libre.

Je me lance dans l'enchainement final : une rondade, un flip arrière et un grand écart latéral. Je prends mon élan, mon coeur s'emballe, je pousse sur mes jambes et saute. Je réouvre les yeux une fois l'exercice terminé. Le retour à la réalité me semble brutal, j'ai l'impression de sortir d'un rêve.

Des applaudissements retentissent sur ma gauche, au fond du gymnase. Je me relève et nettoie mon justaucorps des quelques peluches qui s'y sont accrochées. Quatre jeunes filles cessent leurs acclamations et me rejoignent.

- C'était magnif...magnifique ! bafouille une de mes élèves, une jeune fille métisse de quinze ans aux yeux d'ambre.

- Tu exagères, dis-je en balayant le compliment de la main.

- Nous sommes sérieuses, insiste une deuxième élève aux longs cheveux blonds vénitien.

Je hausse les épaules et les remercie. J'éclaircis ma voix.

- La chorégraphie de la saison aura pour thème : la permanence de l'instable.

Je guette leur réaction avec amusement et reprends :

- La démonstration que je viens de réaliser n'était qu'un aperçu des mouvements que nous retrouverons dans vos prestations en mars.

Mes quatre élèves restent bouche bée.

- La permanence de l'instable ? répète Laura, les bras croisés. Encore un thème saugrenu, où vas-tu chercher ces idées bizarres ?

Je souris.

- C'est un secret.

Un chant d'oiseau mécanique s'enclenche et résonne dans le gymnase. Mon regard se pose sur l'horloge. Il est vingt et une heures. Je frappe dans mes mains.

- Allez les filles, la séance est terminée, à mercredi prochain et bon week end ! Je compte sur vous pour trouver d'ici là des pistes musicales qui vous plairont.

Mes élèves se précipitent vers les vestiaires. J'attends un instant, immobile au milieu du gymnase. Les rafales de vent fouettent les vitres du bâtiment, sur le point de céder. Nous sommes déjà en décembre, la nuit est tombée depuis trois ou quatre heures, je ne sais plus. Je perds la notion du temps en ce moment. J'entends mes élèves ouvrir la porte des vestiaires, les remerciements et les au-revoirs qu'elles m'adressent semblent lointains, étouffés par un tissu cotonneux dans mes oreilles. Je leur tends la main et leur demande de faire attention en rentrant.

Je secoue la tête, me lève et vais me changer à mon tour. Enfiler un tee-shirt s'annonce plus compliqué que prévu. Mes bras me tirent et certaines de mes articulations sont douloureuses. Peut-être ne me suis-je pas assez bien échauffée avant mon enchainement au sol ? Ou peut-être que j'en demande trop à mon corps ces temps-ci ?

La pratique de la gymnastique est mon quotidien depuis seize ans, j'ai commencé à huit ans et il m'a été impossible de m'en défaire depuis. Ce sport me fait voyager, m'aère l'esprit, comme une immense bouchée d'oxygène.

Je grelotte. Le chauffage ne fonctionne toujours pas. Je détache mon chignon, laissant tomber mes cheveux en une cascade de boucles brunes le long de mes hanches. Une fois habillée, je quitte les vestiaires, adresse un sourire au concierge et quitte le bâtiment.

Un froid intense me déstabilise un instant. Quelle température fait-il ? Moins cinquante degrés ? Moins deux cent ?

Heureusement que mon appartement se situe à cinq minutes. Je dérape sur les trottoirs gelés et manque de tomber deux fois sur la route. Trop peu de lampadaires parsèment les rues, le manque de luminosité plonge la ville dans une pénombre hostile. Les sorties nocturnes ne me rassurent pas. Des ombres fantomatiques se faufilent ci et là, et je sursaute à chaque pas. De grands peupliers parsèment les trottoirs, le vent souffle sur les dernières feuilles séchées, qui virevoltent jusqu'au sol.

Briou, un gros chat blanc tacheté de gris est recroquevillé en bas de mon immeuble. J'habite dans un vieux bâtiment de cinq étages, la peinture s'effrite au fil des années lui conférant une triste façade. J'ouvre la porte et le laisse entrer. Il n'a pas de propriétaire, je lui permets de se reposer chez moi, de se nourrir et de se réchauffer de temps en temps. Prendre soin de lui me fait plaisir, il m'apporte de la compagnie, j'en ai bien besoin. J'ouvre ma porte et me débarrasse de mes affaires. Je suis si chargée qu'il me faut de bonnes minutes pour me déshabiller. Je donne des croquettes à Briou dans la cuisine et file prendre ma douche. L'eau chaude qui glisse le long de mon corps brûle mes pieds encore figés. Je lave mes cheveux et savoure cet instant de détente.

Je sors de la douche, mets mes affaires de sport au linge sale et m'arrête sur le pas de ma chambre. Un chaos sans nom s'éparpille sous mes yeux : le sol est recouvert de papiers, des tubes de peinture et d'encre jonchent les commodes et les étagères, dont le contenu manque de s'écrouler d'un instant à l'autre. Des magazines et revues d'art ainsi que des livres forment des pyramides aux quatre coins de la pièce.

Je soupire. Ma chambre me fait pitié, je l'ai encore laissée en catastrophe avant de partir ce midi.

Au milieu du désordre, dans la pénombre, je remarque deux prunelles oranges briller. Briou me regarde, posé sur une toile d'acrylique et de résine.

Mon estomac se retourne. Qu'est-ce qu'il fait ici ? Non, pas ma toile ! Elle n'a pas encore séché ! Je fais de grands gestes pour faire fuir le sale matou.

- Briou ! Pchiiit ! Oust !

Ce dernier me regarde interdit, pousse un miaulement de protestation et saute sur l'étagère. C'est à ce moment que je recule d'un pas, hors de la chambre. Mes yeux se voilent d'effroi. Je n'essaie même pas de rattraper la catastrophe, je suis pétrifiée de ce qu'il va arriver.

Sous le poids de Briou, l'étagère tremble. Les flacons d'encre s'entrechoquent. Les magazines glissent, emportant tout le contenu du rayon au sol. L'étagère tombe et emmène les autres dans sa chute. Le chat glisse et se rattrape sur ma table de nuit, faisant tomber mon poste de radio. Briou feule et bondit hors de ma chambre, décrochant au passage un cadre en verre du mur, qui se brise au sol en des centaines d'éclats.

Je serre les dents et ferme les yeux.

Calme toi Aurore, calme toi. Ne jette pas ce matou par la fenêtre.

Les aventures d'Aurore commencent et risquent d'être mouvementées ! J'ai pris bcp de plaisir à écrire et j'espère que vous le ressentez, si le chapitre vous a plu n'oubliez pas d'encourager l'histoire avec une petite étoile 🌟😉

À suivre...

BRUISSEMENTS D'AILES [RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant