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- Tu ne te rends pas compte de ce que tu dis...

Je retiens un sanglot. Grand père est soudain pris d'une quinte de toux et crache un liquide écarlate dans son mouchoir. Ses doigts se referment sur le tissu, il fuit mon regard terrifié. Seuls les battements de l'horloge murale résonnent dans la pièce devenue glaciale. Un instant, une pensée me traverse l'esprit, une pensée si sinistre que mon ventre se tord de douleur.

- Ne me laisse pas seule. J'ai déjà perdu...

Je serre les dents, les yeux plissés comme prête à recevoir un coup.

- J'ai déjà perdu papa et maman. j'ai besoin de toi.

Ses muscles se contractent à l'écoute de ces derniers mots. Moi, j'explose. La goutte d'eau fait déborder le vase. Je ne retiens pas mes larmes, j'en suis incapable. En parlant de mes parents, j'ouvre une plaie que je croyais soudée, une plaie brûlante, un traumatisme qui m'a tant hanté et que je m'étais forcé à effacer. Harrys me prend dans ses bras et chuchote en douceur en me tapotant dans le dos :

- Je suis là ma belle, ne pleure pas.

Je renifle; et lui demande, entrecoupée de hoquets incontrôlables :

- P...pourquoi rends tu les choses si c-c-c-compliquées ?

******

Je passe mon index sur le verre renfermant le portrait de mes parents. Une fine pédicule de poussière s'accumule dans les coins du cadre. Sur la photo brunie par le temps, ma mère doit approcher de la trentaine, sa peau porcelaine contraste avec le noir profond de sa chevelure. Un petit sourire espiègle enjolive son visage charmeur. Elle semble coquette, je dirai même séductrice, prise en flagrant délit entre deux battements de cils. Mon père, bel homme à la peau métisse, est quant à lui perdu dans les yeux de sa femme. Il l'admire, son regard scintille d'émotions, leurs mains sont entrelacées, leurs alliances scellées.

Leur histoire est tragique, je la garde en moi, dans un espace muré. J'ai grandi avec mon grand-père de mes quatre ans jusqu'à ce que je sois en âge de voler de mes propres ailes. C'est un homme sérieux, bien trop d'ailleurs, et têtu aussi. Il passe sa vie à travailler et ne jure que par l'entretient de la terre. « C'est de là que nous venons, nous devons la chérir jusqu'à la mort, et même dans l'au-delà, elle nous accueillera ».

Il m'a élevé, enseigné ses valeurs les plus importantes : ne jamais abandonner sa famille, ne jamais quitter sa terre natale et ne jamais faire confiance aux technologies. D'après lui, si je respecte ces règles, il ne m'arrivera jamais rien.

Je le suis, aveuglée, sans jamais oser remettre en cause ses pensées. Je me suis forgée une carapace grâce à lui. Nous avons beaucoup de points communs : l'autonomie et la débrouillardise, mais aussi la bonté et l'intuitivité. Nous sommes aussi très nerveux, à l'orée du moindre problème, nous partons au quart de tour. Il m'a légué son éternelle méfiance de l'inconnu. Je n'aime pas être bouleversée, changer mes habitudes. C'est assez étrange, malgré ma curiosité, lorsqu'une situation donnée ne me convient pas, je préfère être dans mon cocon et rester fermer aux nouvelles opportunités. Eden m'a aidé à remédier à ce dernier trait de caractère, notamment avec mon job de mannequin et ma propre acceptation.

Seulement même si mon esprit est encore malléable, il est bien plus difficile de faire changer d'avis grand père. Il se méfie des nouvelles technologies autant que de la peste. Je dois me rendre à l'évidence, il n'ira jamais se faire soigner à l'hôpital de Noeville, bien trop « gangréné » par le progrès. Si je ne trouve aucune solution...

BRUISSEMENTS D'AILES [RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant