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- Mademoiselle Nertcham, cessez vos caprices je vous prie et ouvrez moi, le repas va refroidir !

- Un instant !

J'entends le grognement de Margaret de l'autre côté, puis les claquements de ses talons contre le lino s'éloigner. Oh non, elle va ramener du renfort. Je me dégourdie les bras et replace correctement la table de chevet de que j'ai utilisé pour barricader la porte. Je reprends mon souffle et attends, à l'affut du moindre bruit. L'infirmière ne tarde pas à revenir, mais c'est la voix du docteur Filtz qui m'interpelle.

- Aurore ?

Je me crispe.

- Aurore, je sais que vous m'entendez, pouvez-vous me laisser entrer s'il vous plait ?

Mon regard se tourne automatiquement vers le miroir. Mon oeil brille toujours d'une vive lueur dorée. Je ne peux pas me montrer ainsi, l'équipe médicale ne me laissera jamais partir demain. Peut-être m'enfermera-elle à nouveau pour m'étudier, m'ausculter de part et d'autres puis je deviendrais un rat de laboratoire, un sujet d'expériences ? Il en est hors de question. Cela dit, en les empêchant d'entrer dans ma chambre, le docteur et l'infirmière pourraient croire que mon état se dégrade ce qui les conduirait à me garder ici plus longtemps. Je dois trouver une solution, et vite ! Mon sang ne fait qu'un tour et je bégaie sans réfléchir :

- N...non, je... je médite, j'ai besoin d'être seule.

J'ai envie de me creuser une tombe. Pourquoi ai-je dit cela ?

- Vous moqueriez vous de moi ? s'impatiente Filtz. Depuis quand méditez-vous, et de plus, avec la porte barricadée ?

Je déglutis. Ok le plan A est un échec. Je dois trouver autre chose. Je parcours la pièce des yeux et tombe sur une toile barbouillée d'acrylique, posée sur un chevalet devant ma fenêtre. L'hôpital a eu la gentillesse de me prêter quelques fournitures pour passer le temps. Je m'éclaircie la gorge.

- D'accord, j'avoue, je suis juste entrain de peindre et... j'ai un toc. Chaque toile me demande beaucoup de concentration, il s'agit d'un moment privilégier où j'ai besoin d'être seule. Si par malheur je suis dérangée, je n'arrive plus à travailler. J'ai juste besoin d'un moment de calme d'accord ?

Un silence me fait échos. Elle ne va pas me croire, elle ne va pas me cro...

- Bon très bien, soupire t-elle. Mais vous rouvrirez à Margaret dans trente minutes maximum, est-ce clair ?

- Mais... et le repas alors ? murmure l'infirmière.

Je m'appuie contre mon lavabo. Trente minutes ? C'est le temps d'attacher ma couette avec mon alèse et mon drap pour m'évader du bâtiment par ma fenêtre. Je secoue la tête. Non, je raconte n'importe quoi décidément. Mon regard se dirige vers l'aération au plafond. Le trou est si petit qu'un chat aurait du mal à s'y faufiler.

Je fixe mon reflet dans la glace et contracte mes muscles tout en ordonnant à l'éclat de mon oeil de disparaître. Ça ne fonctionne pas, évidemment. Je baisse la tête, dépitée. Mais que m'arrive t-il ?

Je pourrais mettre une lentille de contact mais je n'en ai pas sous la main. Je prends une grande inspiration. Ok Aurore, calme toi. Il y a certainement une explication et une solution. Je regarde l'horloge murale, dix minutes viennent déjà de s'être écoulées. DIX MINUTES ? Je panique, le temps défile à une vitesse alarmante ! Peut-être y a t-il une formule magique ou un mot à prononcer pour le faire disparaitre ? Lorsque Margaret est venue me rejoindre sous la pluie tout l'heure, elle n'a pas mentionné mon oeil, cela implique qu'il ne devait pas briller à ce moment précis, il a donc du se passer quelque chose lorsque je suis rentrée à l'intérieur du bâtiment... mais quoi ? J'étais trempée de la tête aux pieds, y aurait-il un rapport avec l'eau ?

J'allume le robinet et m'éclabousse le visage. Je me regarde dans la glace, mais rien n'a changé. Un hurlement gronde en moi. Mes yeux se ferment, à la recherche d'une illumination.

Et si... je bande simplement mon oeil ? Mais oui, pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ? Margaret me demandera certainement ce que j'ai, je n'aurais qu'à inventer l'histoire d'une coupure sur l'arcade sourcilière.

Une boule d'espoir gonfle en moi. Il y a des pansements dans ma commode. Sous le coup de l'excitation, je tire violemment sur la poignée, décrochant le rail métallique et déversant le contenu du compartiment au sol. Je repère les pansements éparpillés, en ouvre un et recouvre maladroitement mon oeil gauche. Je me redresse, trébuche aussitôt puis me rattrape de justesse sur mon lit. Je viens de marcher sur ma télécommande holographique. Je n'y avais pas touché depuis ma rencontre avec Paul-Lowis. J'espère ne pas l'avoir cassée. Mon pouce presse le bouton ON. L'appareil émet un sifflement et la luminosité de la pièce s'abaisse aussitôt. Une femme se matérialise devant moi. De petite taille, elle doit avoir une quarantaine d'années. Ses cheveux châtains ondulent autour d'un cou parsemé de bijoux colorés. Ses yeux sombres font ressortir la pâleur laiteuse de son visage ovale, empli d'une profonde tristesse. Un uniforme strict l'habille, orné à la poitrine d'un badge ovale traversé par une étoile et souligné des lettres d'argent « AEI ». Je recule et fronce les sourcils. Je croyais que les télécommandes holographiques servaient à se relaxer grâce à des paysages ou autres visions plaisantes ? Cet hologramme débloque ?

Une larme coule le long de la joue de la femme en face de moi. Elle me regarde droit dans les yeux puis pousse un hurlement strident. Je hurle de frayeur et me bouche les oreilles tout en tombant en arrière. J'attrape la télécommande et l'éteint aussitôt. Le cri cesse et je reste figée.

- Mademoiselle Nertcham ? s'exclame la voix de Margaret à l'extérieur de ma chambre. Je n'arrive pas à entrer dans votre chambre, y a t-il quelque chose qui empêche l'ouverture ?

Je suis trop sonnée pour réagir. Je rêve où elle a déjà oublié que j'avais barricadé la porte avec une table de chevet ? L'infirmière, malgré sa menue personne, réussi à pousser ma porte et entre dans la chambre, essoufflée.

- Que faites vous par terre ? s'enquiert-elle la mine inquiète. Pourquoi avez vous bloqué l'entrée ? Et qu'avez vous à l'oeil ?

Je la regarde, la bouche entrouverte. En l'absence de réponse de ma part, elle me rejoint et m'aide à remonter sur mon lit. Elle pointe mon bandage du doigt.

- Vous vous êtes fait mal ? Laissez moi voir.

- Nnn...no... non !

Les mots grésillent dans mon crâne. J'ai l'impression d'être sonnée. Je me recule mais trop tard, Margaret a déjà retiré mon pansement. Elle observe mon oeil et moi je reste pétrifiée. Je suis fichue, adieu ma sortie demain.

- Je ne vois rien d'anormal, jauge t-elle simplement en réajustant ses lunettes rondes.

Elle détourne le regard et se baisse pour ramasser les objets éparpillés au sol.

- Vous m'inquiétez parfois mademoiselle, marmonne t-elle en levant les yeux au plafond.

Margaret sort de la chambre puis ré-rentre pour me déposer un plateau repas sur ma commode.

- Bon appétit.

Je ne comprends absolument pas ce qu'il vient de se passer. Margaret a t-elle réellement oublié ce qu'il s'est passé ou était-ce une forme de sarcasme ? Je me redresse et me regarde dans le miroir. Mon oeil gauche ne brille plus, comment-est-ce possible ?

Mystère, mystère... À suivre...

BRUISSEMENTS D'AILES [RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant