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Mes premiers pas dans l'appartement d'Eden sont hésitants. Tout a changé. Chaque élément de mobilier a été remplacé. Seuls le papier peint terne et le parquet sont restés les mêmes. Je lève le tête pour que mon nez évite de couler. Plus aucune photo de nous ne parsèment les murs. Nos souvenirs ont été effacés. Même les grands diaporamas qui auparavant décoraient le salon jusqu'au balcon ont été retirés et remplacés par de nouveaux clichés. Quelques bières sont abandonnées sur la table basse. Jusqu'à preuve du contraire, Eden n'a jamais aimé l'alcool.

Ce dernier ferme la porte à clé, abaisse les rideaux d'un geste brusque, et s'assoit raide comme un piquet dans le canapé en face de moi. Il ne m'a pas laissée entrer dans son domicile par courtoisie, oh non, il craignait juste que quelqu'un m'aperçoive en sa compagnie en bas de son immeuble. Il m'observe quelques secondes, son regard se balade sur ma silhouette, comme s'il me redécouvrait. Ses yeux olives remontent jusqu'à mon visage, puis s'assombrissent lorsqu'il croise mon regard.

- Depuis quand portes-tu la marque ?

Je secoue la tête.

- De quelle marque parles tu ?

Il pointe mon oeil gauche du doigt.

- Ne te moques pas de moi. Je parles évidemment de ta greffe.

Ma mâchoire se contracte, signe d'un profond agacement.

- Tu devrais le savoir, je te l'ai dit quand tu m'as rendue visite à l'hôpital.

- Et moi je t'ai déjà dit que nous ne nous étions pas parlés depuis des années.

Je tourne la tête de gauche à droite, fébrile. Je retiens un sanglot. C'est au delà de mes forces, il m'est impossible d'entendre cela.

- Es... es-tu conscient des mots que tu prononces ?

Je n'arrive plus à retenir mes larmes, qui ruissèlent le long de mes joues rouges.

- Pourquoi inventes-tu des choses pareilles, que t'es t-il arrivé Eden ? je murmure, laissant les mots dépasser mes pensées.

- Aurore, je peux...

Je me lève d'un coup, lui coupant la parole. Une colère monte si soudainement en moi, elle est si forte, si explosive que je ne me reconnais plus.

- Je croyais que tu étais mon ami, qu'on se soutenait ! Je viens de passer des mois coupée du monde, de ma famille, de mes amis, enfermée dans une chambre d'hôpital à cause d'un foutu accident ! J'AI CRU QUE J'ALLAIS MOURIR ! J'ai passé des mois en rééducation ! Je souffrais chaque jour, chaque minute mais je ne me suis plains à personne ! Sais-tu ce que cela fait de ne plus marcher ? D'apprendre que tu as perdu un oeil ? Je me suis battue et surpassée pour sortir de cet enfer, mais sais-tu au moins pourquoi ? Pour vivre ce jour, le jour de ma sortie, pour pouvoir voir ton sourire, te serrer dans mes bras, retrouver ceux que j'aime et commencer une nouvelle vie.

Je reprends ma respiration et essuie mes joues d'un revers de manches. Je souffle, exténuée et m'écroule dans le canapé. Ma gorge me brûle.

- Qu'ai-je fait pour mériter ce mépris ?

Eden se redresse légèrement. Quelques secondes s'écoulent sans qu'un mot ne soit prononcé.

- Tu étais à l'hôpital depuis tout ce temps... alors tout s'explique, murmure t-il. Mais... serais-tu entrain de me dire que tu ignores ce qu'est réellement l'oeil qui t'a été greffé ?

Je reste bouche bée, je n'ai pas le temps de répondre qu'il enchaine :

- Sais-tu au moins combien de passage tu as effectué d'une dimension à une autre ?

J'ai un mouvement de recul.

- Qu... Quoi ?

- Réponds à ma question.

Je me lève à nouveau, les poings serrés.

- Premièrement tu vas arrêter de me donner des ordres, et deuxièmement je suis navrée de t'annoncer que tu débloques complètement mon pauvre.

- C'est moi qui débloque ? grogne t-il en se levant à son tour. Es tu sûre de cela ? Est-ce moi qui crois être victime d'hallucinations ?

J'en reste bouche bée. Eden se dirige vers le balcon et regarde au travers des rideaux.

- C'est un miracle que tu sois encore en vie. Tu ne dois plus sortir seule dorénavant, du moins plus l'œil à découvert.

- Pourquoi ? Comment sais-tu tout cela ?

- Ton oeil brille Aurore. Il brille comme un phare. Ce n'est pas un oeil banal qui t'as été greffé.

Je me dirige vers la glace la plus proche et m'arrête en découvrant mon reflet. Je me retourne vers Eden, le teint livide.

- Tes hallucinations ne sont pas le fruit du hasard Aurore, oh que non, ce sont les prémices de tes passages entres nos dimensions. Ton oeil te permet d'accéder à un autre plan Aurore, je pense que tu as compris ce que cela signifie lorsqu'il se met à briller. Je t'ai dit tout à l'heure que nous ne nous étions pas parlés depuis trois ans. Je n'essaie pas de te blesser mais plutôt de te faire comprendre ta situation. Nous n'appartenons pas au même plan. Je ne suis pas ton ami, je ne suis pas le Eden que tu connais.

Mes lèvres tremblent. Je refuse d'y croire. Mes hallucinations à l'hôpital me reviennent en mémoire. Je voyais et vivais des évènements que d'autres me disaient impossibles. Je me souviens m'être réveillée en bulle d'Hem alors que tous me disaient le contraire. Il y a aussi la fois où je me croyais aveugle... mon oeil était encore bandé à ce moment. Et si Eden disait vrai ?

Un frisson m'électrise le corps. Je me sens mal, la nausée au bord des lèvres. Eden se retourne vers moi.

- Des passants ont vu ton œil devant l'hôpital et tu m'as dit que deux hommes te suivaient. La nouvelle va se répandre... la chasse est ouverte. Bienvenu dans mon monde, me dit-il l'air grave. Bienvenu dans le Deuxième plan.

C'en est trop. Quelle chasse ? Pourquoi suis-je en danger ? Un grésillement me tourne le tournis. J'ai à peine le temps de voir Eden courir vers moi, avant que ma tête ne percute le sol.

BRUISSEMENTS D'AILES [RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant