9

132 29 18
                                    

La porte de ma chambre claque d'un coup sec. Je me laisse tomber contre mon dossier et lève les yeux vers la lampe murale.

Je suis seule.

Une émotion me submerge d'un coup : un manque. Comme si une chose précieuse venait de m'être violemment arrachée. Les visites sont passées trop vite, beaucoup trop vite. C'est la première fois qu'un tel sentiment me traverse. Ma gorge est sèche. Je déglutis et me recroqueville.

J'ai toujours le cadeau des filles dans les mains. J'ouvre la boite et en ôte le disque. J'observe quelques secondes les reflets colorés à sa surface. J'imagine la chorégraphie, accompagnée d'un tempo entraînant. Je ferme les yeux et souris. J'arrive à voir les filles s'élancer et effectuer d'impressionnantes acrobaties. Quel thème leur ai-je donné déjà ? Ah oui, la permanence de l'instable. Quel drôle d'intitulé quand j'y repense. Ces titres me viennent à l'esprit lorsque je peins mes toiles. Mes coups de pinceaux sont parfois brusques et saccadés, parfois lents et précis. Lorsque je termine une peinture, son nom m'apparaît toujours immédiatement, comme une évidence. J'en fais ensuite un intitulé pour une chorégraphie de gymnastique; et les filles se l'approprient.

Je ré-ouvre les yeux et range le disque dans sa boite, avant de le poser sur mon guéridon. Il n'y a aucun lecteur de CD dans ma chambre. Ce cadeau devra attendre. Je me penche et attrape alors le cadeau de grand-père Harry, que Eden m'a laissé. Il s'agit d'une minuscule boite rectangulaire d'à peine cinq centimètres de hauteur. Je défais le noeud de ruban rouge qui le décore. Le couvercle s'ouvre légèrement et je découvre une dizaine de fraises. Je reste si stupéfaite que la boite manque de me glisser des mains. Je la rattrape à temps, le coeur battant. J'ouvre en totalité le couvercle et récupère un fruit, qui roule au creux de ma main. J'ai du mal à y croire. Il est si rare de voir des fraises aujourd'hui, c'est un véritable trésor ! Elles sont petites mais possèdent une valeur inestimable. Je fronce les sourcils. Elles ont été cueillies il y a peu de temps. Je ne sais plus exactement quel jour ni quel mois nous sommes : quelque chose entre avril et mai j'imagine. Un détail me chiffonne : ces fruits sont introuvables sur un large périmètre de Noeville, grand-père a du s'aventurer loin dans les terres pour en trouver. Je me mords les lèvres. Non, c'est impossible, il n'aurait jamais pu aller les chercher, Eden m'a dit qu'il était malade. Dans ce cas, comment les a t-il récupéré ?

Je dépose une fraise sur ma langue et l'écrase contre mon palais. Une saveur sucrée caresse mes papilles. Mmh, délicieux ! Je la trouve parfaite, accompagnée de sa petite touche acidulée. Je ne peux m'empêcher d'en prendre une deuxième. J'en engloutis encore quatre autres puis referme le couvercle pour me forcer à m'arrêter.

Soudain une vive douleur derrière la tête m'arrache un gémissement. Je plisse les yeux et contracte mes muscles jusqu'à ce qu'elle disparaisse. Je devrai me reposer. J'incline mon lit et me glisse sous les draps. Aujourd'hui fut une belle journée, je croise les doigts pour que demain soit identique. Je ferme les yeux et m'endors, bercée par un imperceptible bruissement d'ailes.

Je me réveille en sueur. J'ouvre des yeux exorbités et prends une grande inspiration. La pièce est plongée dans le noir. Mon corps est parcouru de spasmes. Je passe une main tremblotante contre mon front. Une quinte de toux m'empêcher de respirer. Je ne me contrôle plus. J'ai tellement mal, ma gorge me brûle. Chaque spasme me fait souffrir, comme de violentes décharges électriques.

Je manque d'air, j'étouffe ! Je retire mes draps d'un coup. J'ai besoin de lumière, je ne vois rien. Je me redresse et tâte le mur derrière moi. Aucun interrupteur. Ma respiration est de plus en plus saccadée. Je pousse de longs râles, j'ai l'impression d'agoniser. Je dois faire quelque chose, bon sang ! Il me faut de l'eau, j'ai besoin de m'hydrater ! J'écrase mes mains sur le guéridon et bouscule des objets à l'aveuglette. Un objet en verre se brise au sol.

Je me sens si mal, une chaleur étouffante me comprime. Ma robe de chambre colle contre mon dos. Je me redresse en m'appuyant sur les rambardes du lit. Je joins mes jambes et pose pieds à terre. Le lino glacé m'arrache un frisson. Je serre les dents, pousse sur mes muscles et me lève. J'ai à peine le temps de faire un pas que je m'écroule au sol. Je pousse un hurlement. Je sens ma peau se déchirer. Je suis tombée sur les copeaux de verre. Je tousse et rampe à l'aveuglette. Je n'ai aucune idée d'où je vais, pas un trait de lumière ne me laisse deviner les volumes de la pièce. Je ne comprends pas. pourquoi fait-il si sombre ?

Un craquement résonne sous mon genoux. Une douleur aiguë me fait lâcher un sanglot. Un morceau de verre vient de s'incruster dans ma peau.

Je continue de ramper et tends ma main devant moi. Mes doigts rencontrent un mur. Je frémis. Je lève les bras et m'accroche à un tissu. C'est le rideau de la fenêtre ! Je l'attrape et tire dessus pour m'aider à me mettre debout. Je trouve la poignée de la fenêtre et défais les stores en tirant violemment dessus. J'ouvre la fenêtre et tends mes mains vers l'extérieur. Un vent glacial s'engouffre dans la chambre. Je lève la tête à la recherche d'une quelconque source de lumière mais je ne vois rien. La lune ne brille pas, aucune étoile, aucune planète ne parcoure le ciel, aucun réverbère n'est allumé. C'est le néant.

Je perds l'équilibre et tombe en arrière. C'est impossible. Je hurle et éclate en sanglot.

- C'est un cauchemar, c'est ça ?!

Mais la douleur est bien réelle. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?

Un doute me tord soudain l'estomac. Serais-je... Serais-je devenue aveugle ?

Je me cache le visage avec mes mains. Je me sens livide, nauséeuse. Je m'éloigne de la fenêtre en rampant. Je sais qu'en face se trouve la porte de la chambre. Le mur de l'entrée porte un interrupteur. J'atteins la porte à bout de souffle. J'attrape la poignée et me hisse dessus. Mes doigts cherchent l'interrupteur. Il doit être à cette hauteur normalement, mais bon sang où est-il ?!

Je me sens partir, ma tête tourne. Je frôle un bouton. J'approche mon index tout doucement. Mon coeur cogne contre mes côtes. Je déglutis et ouvre les yeux en grand.

Je vais appuyer dessus et la lumière va s'allumer. La lumière va...

Mon doigt s'écrase contre l'interrupteur, mais la pièce reste plongée dans le noir total.

BRUISSEMENTS D'AILES [RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant