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Je pousse un hurlement de frayeur et balance le livre de Bellie Poelson contre le mur.

- Que m'arrive-t-il , MAIS QUE M'ARRIVE-T-IL ?!

J'attrape rageusement mon carnet et je me retiens de le déchiqueter. Je le fixe, sans oser laisser libre cours à mes pulsions.

Je viens de passer trois heures à y écrire mes ressentis, mes émotions, mes pensées, mes attentes. Après la visite du docteur, j'ai trouvé dans le dernier tiroir de ma commode un bloc note et un crayon de bois. Un besoin irrépressible d'y écrire tout ce qu'il m'était arrivée depuis l'accident s'était emparé de moi. Trop d'évènements anormaux m'échappaient. Mes visions en bulle d'Hem, l'incompréhension d'être devenue aveugle puis d'avoir retrouvé la vue, ma peur incontrôlable vis à vis de ma greffe ainsi que les gribouillis à l'intérieur de La vie après la couleur. J'avais pensé que les recracher me permettrait d'y voir plus claire, mais non. J'étais capable de voir certaines choses que d'autres ne voyaient pas. J'étais convaincue que ma greffe en était l'origine. Mais quelque chose de bien plus inattendu s'était produit : ma vision s'était soudainement floutée. Je ne distinguais plus les contours des objets autour de moi. En plus de cela, mon champs de vision s'était considérablement élargi. Ma paupière gauche s'était ouverte. J'avais dorénavant l'impression d'avoir passé un cap, d'avoir débloqué un rouage qui allait enclencher un mécanisme bien plus terrifiant. Je n'avais pas osé me regarder dans une glace. J'avais pris le livre de Bellie Poelson et j'avais continué à lire pour me calmer. Le résultat inverse s'était produit : en plus des ratures, de minuscules écritures en patte de mouches ainsi que des croquis de traits saccadés au feutre fin étaient apparues le long des marges. La fin de l'ouvrage était quasiment illisible, criblée d'inscriptions absconses qui empêchaient la lecture. La dernière page m'avait sautée aux yeux, un paragraphe plus précisément, entouré au marquer rouge :

«J'ai l'impression de ne plus être moi même, comme si un observateur venait d'élire domicile dans un lieu qui ne lui appartenait pas. Un étranger maculé d'angoisse qui tentait de se fixer à mon âme.»

La terreur m'avait coupée le souffle. Je me souvenais de ces mots. Les syllabes éprises de mélancolies résonnaient encore dans mon crâne. Comment avais-je pu rêver d'une phrase qui se trouvait maintenant dans un livre ? CE livre ?

J'avais hurlé et lancé le livre de Bellie Poelson le plus loin possible de moi.

BRUISSEMENTS D'AILES [RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant