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Un violent mal de crâne me ramène à la réalité.

P... pourquoi suis-je allongée au milieu du salon?

Je me redresse d'un coup lorsque mes souvenirs refont surface. Il y avait une femme et un homme dans mon appartement ! Les sens en alerte, je me lève et prise de tournis, m'écrase dans mon canapé. Je tente de réguler ma respiration et d'analyser le plus calmement possible la situation : mes meubles sont de nouveau à leur place, il n'y a ni douche allumée, ni musique, ni lumière, même le couteau a disparu. C'est comme si la scène n'avait jamais eu lieu, comme si elle s'était déroulée dans un autre endroit. Les mots qui sortent de ma bouche sont plus inaudibles qu'un murmure :

- L'autre dimension...

Je déglutis et me regarde dans le miroir du dressing. L'oeil ne brille pas et un énorme hématome s'étale entre l'arcade sourcilière et la tempe droite. Les paroles de la femme me reviennent : « Oh mon dieu ! Regarde, c'est elle ! ». Faisait-elle référence à l'illuminée apparue en ville ?

Même si mon bon sens me pousse à ne pas y croire, ma raison me remet en question : et si tout ce que m'avait raconté Eden était vrai ?

Les pulsations de mon sang dans mes veines s'accélèrent telles que j'ai l'impression que mon coeur va s'éjecter de ma poitrine. Qu...que suis-je censée faire dans ce genre de situation ? Y a t-il un lieu où je puisse être en sécurité dans mon monde ? Si ma maison n'est plus sûre, devrais-je sortir de chez moi ? Mon regard s'oriente vers la fenêtre, où la faible clarté de la lune est étouffée par les nuages nocturnes. Je crains que l'extérieur ne soit plus hostile encore.

Il n'y a qu'une seule personne qui pourrait m'aider mais... elle se trouve dans l'autre dimension. Devrais-je en parler à mon meilleur ami ? Je n'ai pas été correcte avec lui ces derniers jours et je suis consciente que des explications s'imposent.

Etouffée par un tourbillon de questions je pousse un hurlement et arrache le téléphone fixe de son support pour composer le numéro d'Eden. Le désespoir m'accapare lorsque son répondeur répond. Je laisse un message, la voix tremblotante :

- C'est Aurore, je dois te parler en urgence. Viens à l'appartement dès que possible.

Je raccroche. Seul l'avenir sait sur quel Eden je tomberai la prochaine fois, mais dans tout les cas, j'ai besoin de parler aux deux.

Je dois me préparer à l'éventualité de passer de nouveau dans l'autre dimension. Comment pourais-je me protéger ? Mon arme ne m'a servi à rien sur le moment, j'ai bien trop peur de blesser quelqu'un.

Je m'arrête un instant. De quoi devrais-je me protéger au juste ? Les deux personnes dans mon appartement n'ont montrés aucun signe de violence après tout. Peut-être que... je pourrais établir un dialogue avec eux ?

Je soupire. Dans mes lointains souvenirs, Eden de l'autre dimension m'avait mis en garde : «C'est un miracle que tu sois encore en vie» «La chasse est ouverte» mais... quel genre de menace me rode autour ?

Quoiqu'il en soit, je dois m'endurcir, retrouver mon agilité, ma souplesse, ma force. Je ne peux pas me battre dans mon état actuel, je risquerais de me briser plus vite qu'une brindille. Je me suis assommée en me cognant contre l'homme, la douleur a été si fulgurante que j'en suis tombée dans les pommes. Le seul conseil qui m'a été donné est de cacher mon oeil. Peut-être cela pourrait-il empêcher le passage entre les dimensions ?

Je déchire un pan d'une vieille blouse à l'aide d'une paire de ciseaux et l'attache autour de ma tête. Ce déguisement ridicule me confère une drôle d'allure avec mon hématome. Je sors ma trousse de secours et désinfecte la plaie. Du coin de l'oeil, je remarque un petit insecte grouiller sur le bord du lavabo. Je plisse les yeux et découvre trois mouches et deux araignées mortes juste à côté. Ma main se plaque contre ma bouche. Quelle horreur. Mon appartement est aussi ragoutant qu'un corps en putréfaction. Un frisson m'électrise la colonne vertébrale. Si je suis bloquée en ces lieux et que je dois y vivre ces prochains jours, autant les rendre les plus vivable possible. J'enfile des gants, attrape un désinfectant et des lingettes nettoyantes. Le peu de ménage auquel je m'adonne redonne un regain de fraicheur à la salle d'eau. Je me déplace jusque ma chambre et, aider d'un balai et d'une pelle, je récupère tous les morceaux de verre éparpillés au sol. Avant de jeter le tout à la poubelle, je récupère un débris de verre et le glisse dans ma poche.

Mieux vaut prévenir que guérir.

Le nettoyage de ma chambre prend plus de temps que prévu : j'astique les meubles, frotte le lino et le tapis de toute la peinture et la résine qui s'y sont déversés. Avec ma malchance légendaire, je remarque que la grande majorité des bocaux et magasines tombés des étagères sont collés au sol. Je gratte avec une spatule, tamponne d'alcool à brûler et asperge le tout avec des diluants plus nocifs les uns que les autres. Au bord de l'intoxication, j'attrape le tapis et le traine jusqu'au balcon, où j'inspire un grand coup. J'y reste quelques minutes, la larme à l'oeil et les sinus meurtris par tant de toxicité.

Je retourne dans ma chambre et décide de faire un tri radical. Une bonne partie des livres et bibelots finissent à la poubelle. Sous une toile d'argile et d'acrylique, je récupère un bouquin de taille moyenne dont la couverture ne m'est pas anodine : il s'agit d'une immense étoile de feu encerclée de cinq anneaux pourpres. Une inscription en lettres d'or est encadrée en haut de la page « Leaupha Menpheis". Si je ne m'abuse, c'est l'étoile qui m'est apparue la première fois que j'ai utilisé la télécommande holographique à l'hôpital. Oui, ça me revient maintenant ! Voila pourquoi cet astre me rappelait quelque chose !

Ce livre est un des derniers souvenirs laissés par mes parents. Je ne l'avais pas ressorti depuis tant d'années... je ne me souviens même pas l'avoir lu. En y réfléchissant bien, ça ne m'étonnerait pas de ne l'avoir jamais ouvert. J'ai cherché à me détacher de tout souvenir maternel et paternel à la morts de ceux ci. Leur départ soudain m'a laissé un arrière goût d'abandon. Mon grand-père a tenté de me parler de leur accident mortel, une nuit d'hiver. Je n'ai jamais cherché en savoir d'avantage, les dés étaient jetés, ils sont partis.

Je tente d'ouvrir le livre mais les pages sont collées par la résine. Une forme ovoïde transpercée par une étoile à cinq branche, décorée de trois lettres argentées « AEI » ressortent sur le papier gaufré de la quatrième de couverture. Ce sigle me dit quelque chose mais cette fois-ci, je n'ai aucune idée de ce qu'il peut signifier. Je lis les inscriptions en italiques :

« Découvrez la mission ADDE Ones en avant première.

Une épopée sensationnelle.

Soyez au rendez vous, le 11 mai 2018, à bord du tout nouveau vaisseau ADDE Ones pour découvrir l'évènement du siècle.

À ne manquer sous aucun prétexte».

J'ai vaguement entendu parler de cet évènement. Une mission dans le but de repousser nos limites, d'explorer toujours plus notre univers. Comme si on avait besoin de ça, ne pouvaient-ils pas investir plutôt dans la guérison notre planète Terre, qui se meurt à petit feu sous leurs yeux aveuglés.

Mes doigts glissent le long de la tranche épaisse du livre. Je savais que ma mère était passionnée d'astronomie. Dans mes souvenirs, elle prenait un train chaque matin pour se rendre au travail, lequel consistait à établir des algorithmes pour diriger des satellites à distance. Elle revenait le soir sur Noeville pour me consacrer du temps à l'apprentissage de la voûte céleste. Mon père était éducateur en science astrophysique au conservatoire de Noeville. Ils menaient une vie simple, sans trop d'embuches, et étaient toujours en accord sur un point : l'espace était l'avenir.

BRUISSEMENTS D'AILES [RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant