Fantômes du passé

512 38 33
                                    

Vendredi 5 novembre 2038

La jeune femme pousse lentement le grand grillage qui la mène à l'allée centrale, après avoir garée sa voiture sur le parking en face.
Un panneau attire son attention «Interdit aux androïdes » Elle soupire, même dans un lieu de recueillement comme un cimetière, tous liens entre les humains et les androïdes sont rejetés, cela l'effraie, puis la répugne.
Depuis 2 ans qu'ils font partie intégrante du quotidien, énormément de personnes se plaignent d'eux et de nombreuses, à son sens, inégalités leur sont mises sur le dos. Des gens se plaignent d'eux car leurs capacités et leurs habilités à faire un travail de meilleure qualité et de façon plus rapide et organisée sont favorisées. Il n'est pas rare de voir des entreprises entièrement prises en charge par des androïdes, ce qui a, en conséquent, fait grimper le taux de chômage de manière incontrôlable. Cette évolution à plongé le pays dans une ère nouvelle, bonne ou mauvaise selon les avis.
Elle, ce qu'elle en pense ?
Dans sa situation, quel autre choix que de se forger son opinion à partir de celui des autres ?
Son cœur se serre, elle n'est pas là par hasard, elle vient visiter ses tombes, comme tous les vendredis après-midi, deux bouquet de houx vert et de bruyère en fleur (N.D.A:Référence placée) à la main.
Elle se dirige vers la pierre tombale, les jambes tremblantes.
Sur celle-ci, on peut lire:
À notre collègue, ami.
Lt. Hank Anderson
Né le 9/06/85 mort le 18/12/2036
Sur la même tombe, un deuxième nom est inscrit, près de celui de Hank
À mon fils
Cole Anderson
Né le 23/09/2029 mort le 11/10/2036
Lentement, elle s'agenouille et retire le précédent bouquet maintenant fané puis le remplace par celui-ci.
Elle se redresse et réajuste son manteau, soudainement submergée par la froideur du mois de Novembre, aucun doute qu'elle n'aime pas beaucoup cet endroit mais elle est peut-être une des seules personnes qui visite leur tombe régulièrement.
Silencieuse, elle reste là, dans ce cimètière qui semble vide, ou peut-être parce que l'espace d'un instant elle semble déconnectée du monde, comme si autour d'elle, tout flottait...
Un frisson la parcourt, elle détourne les yeux sur la plaque et le fait de relire leurs deux noms côte à côte lui coupe toujours le souffle. Tout lui revient, cet accident horrible... le suicide de Hank...
Une étrange sensation se creuse dans sa poitrine, désagréable, indescriptible, comme si elle se serrait douloureusement.
Une seule phrase dans la tête: « Hank détestait les androïdes... » depuis ce jour. Cette évidence éveillant en elle une sensation de malaise.
Elle porte sa main à sa poitrine, douloureusement, et réajuste son écharpe.
Tous les pleurs qu'elle ne peut plus contenir sont bloqués, là, et ne peuvent plus sortir...
Elle voudrait bien éclater en sanglots une bonne fois pour toutes, se dire qu'elle n'aurait rien pu changer, qu'un accident était un accident. Hank n'aurait jamais surmontée la perte de son fils...
Essoufflée, elle essaie de se calmer et de reprendre sa respiration correctement. Précipitamment, sans un regard en arrière elle se dirige vers sa tombe, celle de sa propre famile. Avec respect, elle dépose le deuxième bouquet de fleurs dessus.
À mon frère, à ma belle-sœur
À nos collègues, amis.
Commandant Nathaniel Johnson
Né le 28/11/1988 mort le 3/01/2020

Inspecteur Lauren Miller
Née le 14/03/1990 morte le 3/01/2020

À mon mari, à mon oncle
Tim Johnson
Né le 16/08/85 mort le 4/12/2034

Une fois près de sa famille, elle s'agenouille et d'un revers de main, essuie les gouttes de pluie qui maculent le nom de ses parents, gravé dans la pierre. Sans même qu'elle s'en soit rendue compte, il s'est mis à pleuvoir. Une pluie battante, glacée, d'un automne qui peu à peu fait place à l'hiver et fait frisonner April, une larme roule le long de sa joue, même si l'on pourrait croire que c'est juste une goutte de pluie qui dévale son beau visage ravagé de tristesse.
« Maman... » elle murmure en fixant le nom de sa mère, sa mère qu'elle n'a que si peu connu, et il ne se passe pas un jour sans qu'elle ne pense à elle. Parfois, quand le doute la submerge, et qu'elle se sent seule, elle voudrait qu'elle soit là, près d'elle. Et elle se demande si elle serait fière de la femme que sa fille est devenue.
Un fin sourire étire son visage, enfant, sa tante lui promettait que de là où ils étaient, ses parents la voyaient et continuaient à l'aimer, malgré tout.
Et c'était tout ce qu'il fallait lui promettre pour apaiser de son chagrin la petite fille qu'était April. Mais aujourd'hui, c'est différent.
Tremblante, elle se redresse puis son regard se pose vers le nom de son oncle, et la même pensée revient la hanter encore et encore, ce sentiment de culpabilité qui la fait se sentir minuscule, terrifiée, qui l'a empêchée de dormir, à se sentir coupable, de continuer pour sa pauvre tante Grace, ravagée par cette nouvelle perte.
Toutes ses terreurs nocturnes, ses cauchemars étaient de retour pour la tourmenter et lui rappeler que, lui, non plus elle n'avait pas pu le sauver.
Et puis, il y avait la vérité, douce comme du velours et brûlante comme un feu ardent dans son cœur, répétée sans cesse, avec douceur, avec patience, avec compréhension par Matt, et c'était lui qui avait raison, c'était juste arrivé, elle n'était pas responsable de son malheur, c'était une victime de son sort qui tentait de s'accrocher à ce qu'on lui confiait pour la rassurer, la vérité, pour à nouveau apaiser la petite fille terrifiée dans ses nuits blanches.
Et April le sait bien, elle ne pourra pas changer le passé... quoi qu'il arrive, ce qui est arrivé est arrivé, et c'est ainsi...

À nouveau, son esprit lui affiche le regard perdu et inexpressif qu'Hank avait la dernière fois qu'elle l'a vu, elle revoit l'ambulance emmener le petit Cole, alors entre la vie et la mort à l'hôpital le plus proche, et l'espoir s'éteindre en même temps que lui.

Chassant de son mieux ces images qu'elle se forçait à oublier, elle ferme les yeux pour les réouvrir d'un coup et franchir l'étape de ressortir de ce cimetière. Ce qu'elle fait, tremblante car déjà la pluie s'est arrêtée, la laissant seule, trempée et perdue dans les limbes de son propre chagrin. À nouveau, elle pousse le grand portail et réajuste le col de son manteau, allumant fébrilement une cigarette.

What will we become ? April X Connor / Detroit Become Human [EN COURS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant