Chapitre 9

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Avant d'entreprendre quoi que soit de compromettant, Lucille dut reprendre ses esprits autour d'un bon grand verre d'eau provenant de la pompe du village. Ceci lui évitera de faire des gaffes qu'elle pourrait regretter par la suite. Remettre ses idées en place l'aiderait ainsi à dresser mentalement une liste claire comportant les étapes qui fructifieront son enquête. Profitant de sa présence aux alentours du magasin général, elle y entra une seconde fois et se présenta enfin au jeune vendeur installé derrière le comptoir.

-Bonjour Monsieur ! Je m'appelle Lucille Gravel.

-Enchanté ! la salua-t-il poliment. Moi, c'est Albert Bédard. Vous êtes une voyageuse ou vous êtes de la place ?

-J'habite ici, sur une rue pas loin. Enfin, j'habitais. Ma maison est maintenant rendue en cendre.

-Ah ! C'était la vôtre... lui dit-il, à voix basse.

Lucille acquiesça gravement de la tête. Elle se devait maintenant d'en savoir un peu plus sur ce qui s'était passé, en espérant qu'il collaborerait bien. Elle demanda au commerçant, calculatrice : 

-Quand est-ce que l'incendie a eu lieu ?

Albert Bédard soupira, se remémorant ces douloureux souvenirs. « Il y a une semaine à peu près. C'était durant la nuit, vers onze heures. J'étais ici, au magasin, et soudainement, il y a eu une déflagration. Je suis sorti dehors et la maison avait déjà commencé à brûler. Presque tout le village était présent à ce moment-là. Ça hurlait d'aller chercher des gros seaux d'eau. Certaines personnes criaient à cause de la fumée et des flammes impressionnantes et d'autres pleuraient car, par le passé, les membres de votre famille entretenaient sûrement des liens très forts avec eux.

-Oui... Nous étions choyés par beaucoup de personnes, constata-t-elle, à haute voix.

Lucille regarda par terre, les mains et la gorge nouées. Sont-ils morts ? Comme si Albert Bédard lisait dans ses pensées, il ajouta, avec fatalité : « On n'a pas revu votre famille depuis. »

Lucille remercia le vendeur de sa franchise et sortit du magasin, les jambes molles et la vue embrouillée. Elle leva les yeux au ciel d'un bleu grisâtre et se mit à prier. Elle débita un «Je vous salue Marie», puis un «Notre père». Si elle avait eu un chapelet entre les doigts, elle s'y serait agrippée et l'aurait sans doute parcouru dans son entièreté. Forte de ces paroles sacrées, elle se dirigea machinalement vers le bar de la rue Principale. Depuis qu'elle avait quitté cet endroit malsain, pauvre chenille qu'elle était, elle avait évolué pour atteindre sa maturation de papillon, d'où le passé n'était que ce qu'il était : le passé. Son pas rapide l'entraîna jusqu'à l'Hôtel. Elle entra en trombe dans le bar. Une chanson d'Alice Robitaille, dit Alys Robi, jouait à la radio ; le rythme de celle-ci coïncidait parfaitement avec les battements de son cœur. Sur le coup, elle se surprit même à fredonner les notes, les yeux fermés. Ça faisait longtemps qu'elle n'avait apprécié quelque chose.

Quelqu'un l'interrompit dans son évasion : « Mademoiselle ? Qu'est-ce que vous voulez boire ? »

Lucille sortit aussi rapidement de son coma musical que lorsqu'elle s'y était plongée. Le barman de l'endroit, de nature joufflue et bâti comme une armoire à glace, lui parlait. Elle sortit de sa torpeur pour lui répondre :

-Madame ! lui dit-elle à voix basse en lui montrant la bague entourant romantiquement son annulaire gauche.

Après quelques secondes, elle la retira et la jeta dans un verre rempli de bière. Pourquoi la garder encore si elle et Amédée, c'était à coup sûr terminé ? Le barman ne comprit pas son geste et la réprimanda fortement d'un « Hey ! Tu vas étouffer un de mes clients avec ce que tu viens de lancer! ». Pour éviter de subir sa colère montante, elle demanda si elle pouvait avoir un peu de vin. On lui apporta une coupe de vin rouge et avant que son interlocuteur retourne à son comptoir, elle le questionna à propos d'un certain Roméo Gravel, un homme qui travaille dans ce bar, en mentionnant qu'il est de sa famille. Le barman lui répondit qu'il y a quelques temps, celui-ci était sorti à l'extérieur et n'avait plus jamais franchi la porte d'entrée du bâtiment. Une rumeur circulait que quelqu'un l'avait vu se faire quérir par des policiers de Saguenay aux alentours du bar et de la maison qui avait dernièrement brûlé. Lucille resta bouche bée. Son oncle aurait... Non. C'est impossible. Ou peut-être que... oui.

Il lui fallait des preuves. Elle s'y mettra le lendemain, car le soir tombait et une nuit de sommeil dans un bon lit lui ferait le plus grand des biens, son sommeil bercé par la musique ambiante.

Une vie de tourmentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant