Un long silence s'éternisa entre les deux personnes, l'une derrière et l'autre devant les barreaux. Ils se regardaient, Roméo, de ses yeux de cochon et Lucille, d'un regard aux mirettes plissées et défiantes. C'est le premier qui débuta l'affrontement.
-Que fais-tu ici ?
Lucille sursauta. Sa voix avec vraiment changé, elle était devenu plus chevrotante, tirant sur les aigus. Après l'incendie, il dût tellement s'en vouloir d'avoir fait pareil geste qu'il s'est mis à fumer et à boire jusqu'à en vomir. Le cas échéant ou non, elle lui souhaitait le pire. Elle prit tout de suite d'assaut la conversation.
-Je suis venue te voir pour savoir tout ce qui s'est passé. Je vais d'abord commencé par une question qui m'afflige énormément depuis que j'ai découvert ce que TU as fait ! rugit comme jamais Lucille, en le pointant du doigt. Pourquoi avoir flambé ma maison et fait disparaître ma famille ?
Ça lui faisait un bien fou de pouvoir enfin se venger de ce qu'il lui avait fait subir pendant toutes les années où elle travaillait au bar.
-C'est pas si simple d'y répondre, à ta question. Pas juste «comme ça».
Il la regardait avec des éclairs dans les yeux. Il essayait de contenir un début de colère non facile à se manifester, vu la position où il se trouvait.
-Je t'en conjure... le supplia Lucille, les larmes coulant abondamment et silencieusement sur ses joues. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Soudain, Roméo Gravel, homme dur et sans scrupule, ressentit une émotion qui n'avait jamais auparavant franchi la courbe de ses pensées.
De la compassion. Pour sa nièce. Celle qu'il avait toujours maltraitée avec ses paroles et ses gestes. Une culpabilité sans fin l'envahit et le glaça de l'épiderme jusqu'à la moelle de ses os. Il se redressa et prit enfin sur lui de s'exprimer sur les événements de la dernière année.
-Lorsque tu es partie pour Montréal, j'étais vraiment en colère. J'avais perdu une employée forte en affaires qui m'aidait efficacement à tenir mon bar. Je ne pouvais pas trouver meilleur appui ailleurs. J'ai perdu beaucoup de clients après. Je me suis même retrouvé au bord de perdre mon établissement. Peu de temps après, ta grand-mère est morte.
Son ton s'adoucit au fur et à mesure que le récit avançait. Lucille n'avait jamais été aussi silencieuse.
-La vieille laissait derrière elle un immense héritage qui était en plus combiné à celui que lui avait destiné le grand-père au moment de l'écriture de son testament.
Lucille se souvenait des funérailles du père de son père, un homme qu'elle n'avait pas beaucoup connu, mais qui, selon les dire des autres, étaient un bonhomme amusant et généreux.
-C'était un montant d'argent que nous, ses enfants, on savait très gros. Alors au moment du rendez-vous avec le notaire de Chicoutimi, c'était vraiment lourd entre ton père et moi. Surtout lorsqu'il toucha une plus grande part de l'héritage que moi, comme si ma mère m'aimait moins que lui.
-Tu t'es vengé en brûlant sa maison ?
-Ça faisait partie de mon plan, oui...
Tout se débitait pacifiquement et dans le plus grand calme, les émotions mises de côté.
-Après le rendez-vous, j'ai arrêté de parler à Baptiste, le temps de trouver comment le faire disparaître et mettre son décès sur la faute de la crise cardiaque.
-Mon papa... gémit Lucille, les yeux fermés, essayant de s'imaginer son visage non pas touché par la mort, mais vivant et rose.
C'était de plus en plus difficile pour elle de contenir ses émotions, ce qui la ferait chavirer d'un instant à l'autre.
-Pour lui éviter une mort lente et douloureuse, je suis parti à Montréal chercher un poison. Du cyanure pour être plus précis. Entre temps, j'ai dormi chez la sœur de ta mère qui n'a pas supporté mes sautes d'humeur et mes idées noires. Je lui ai dit que c'était à cause de toi, que c'était comme ça juste depuis que tu étais partie. Elle m'a dit qu'elle ne se gênerait pas de te réprimander lorsqu'elle te reverrait. Après mon achat, je suis revenu ici pour empoisonner mon frère. Et ce qui est arrivé arriva. Il est mort dans son sommeil, après avoir inhalé le poison.
-Tu es un monstre, vociféra sa nièce. Tout ça par jalousie. Pour recevoir une plus grosse part de l'héritage.
Roméo Gravel se leva et son corps alla se fracasser contre les barreaux de sa cage. Il ne pouvait plus s'arrêter de parler.
-Après sa mort, je me suis rendu compte que des gens voilaient mon bonheur : sa femme et ses enfants. Alors, j'ai mis le feu à la maison pour les faire disparaître aussi.
Lucille en avait assez entendu. Elle dût quitter la prison, secouée de toutes parts par des sanglots soudains. Elle lui souhaitait tout le mal du monde pour le reste de ses jours.
********
Après le départ de Lucille, Roméo analysa toutes les horreurs qu'il lui avait sans gêne dévoilé et s'aperçut qu'il ne semait que du malheur et du mal-être sur cette Terre. Ce fut la dernière pensée qui passa dans son pauvre cerveau meurtri par le repentir et il s'enleva la vie en s'étouffant avec son drap.
FIN
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Une vie de tourments
Historical FictionQuand la vie ne fait pas de cadeaux... Suivez l'histoire de Lucille Gravel, une Canadienne, dans la ville de Montréal et dans la campagne du Saguenay à travers la province de Québec des années 1940. Des moments de pures joies aux tristes fatalités d...