Chapitre 8

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Après ce tragique incident et toute bouleversée par ce qu'elle avait vu, Lucille ramassa les objets et les vêtements qui lui appartenaient dans l'appartement, les mis dans sa valise et quitta le domicile en trombe. Rien ne pouvait être pire. Les larmes aux yeux, le souffle court, des gémissements de stupeur lui sortant de la bouche, elle eut l'idée de se rendre jusqu'à l'arrêt de tramway le plus proche. Mais avant tout, elle se devait d'aller donner sa démission à l'école où elle enseignait. Ils furent bien tristes de la voir partir, mais la remplacèrent rapidement par les nombreuses autres enseignantes en chômage. En quittant l'établissement, sa pauvre tête était bousculée par de cruelles pensées. Comment une telle chose pouvait se produire ? Qu'est-ce qui s'était passé ? C'était à qui la faute ? Peut-être était-ce à cause d'elle ? Peut-être l'avait-elle, négligé ? Cette idée la fit frémir, car elle l'aimait tellement. Enfin, elle l'avait tellement aimé. C'était peut-être sa faute. Oh oui ! Tout ça était à cause de lui. Elle s'en voulu de l'accuser ainsi, mais il fallait qu'elle démêle tout ce qui tourmentait son être. Soudain, un tramway arriva et fit taire sa conscience un petit moment, jusqu'à ce qu'elle s'enfonce dans un siège marqué par les années, sa lourde valise à la main. Elle avait l'impression de se retrouver un an et demi en arrière, dans le train en direction de Montréal, la ville qui allait marquer à tout jamais sa vie. Elle le savait même à ce moment, sans connaître tous les éléments qui la caractérisait. Elle regarda dehors, prise d'une rage indescriptible, jusqu'à ce que le conducteur du tramway vienne lui tapoter l'épaule.

-Madame, où voulez-vous aller ?

-Euh...

Étant rentrée dans le tramway sans penser une seule seconde à ce qu'elle faisait, elle ne sut que répondre. Une idée germa dans sa tête brumeuse et elle se tourna rapidement vers l'homme.

-Pouvez-vous me faire descendre à l'avenue Duverger, s'il-vous-plaît ? Ou non ! Pouvez-vous me conduire à la gare ?

-Aucun problème ma p'tite dame ! lui dit-il en lui faisant un sourire gêné.

«Ça paraît tant que ça que j'ai été trompée, se dit-elle ? Personne ne peut comprendre.»

Plus rien ne la retenait à Montréal. Sa tante... il faisait longtemps qu'elle ne lui avait pas parlé. Leur dernière conversation remontait à son mariage avec Amédé, et n'avait pas été très colorée. Mais, Lucille n'avait pas le goût d'en rajouter à sa situation en se rappelant cette situation. Elle était si triste. S'éloigner le plus possible de ce passé cruel, mais merveilleux à la fois était la meilleure porte de sortie. C'est pourquoi elle décida de repartir très loin, au village de Jonquière, retrouver sa famille chérie qu'elle avait mise de côté depuis un bon nombre de mois. Elle avait aussi un besoin pressant de respirer l'air frais de la campagne. Même qu'elle en avait besoin plus que jamais.

********

Son lieu de naissance n'avait pas changé. En rentrant dans le magasin général, elle sourit au marchand. Il était jeune, nouveau dans le métier, ça paraissait. Ce n'était plus le vieil homme qui était présent derrière le comptoir lorsqu'elle était enfant, il y a plus de 20 ans. Après ce passage rapide lui ayant permis de scruter les nouveautés présentées dans les étalages, elle décida de se rendre jusqu'à la maison où elle avait habité jusqu'à l'âge de 24 ans. En arrivant à la hauteur de sa rue, elle eut la surprise de voir que l'emplacement territorial où se trouvait sa maison était complètement vide d'un quelconque bâtiment. Abasourdie, Lucille s'apprêta, sa valise à la main, à piétiner l'herbe de son terrain afin de se diriger exactement où était auparavant construit son logis. De petites collines de cendre et quelques rondins de bois calcinés parsemaient l'endroit. Lucille s'accroupit et éclata en sanglots, en effleurant quelques résidus avec sa main. Tout ce qui lui avait appartenu était réduit en cendre. Et où était son père ? Sa mère ? Ses frères et sœurs ? Et elle-même, était-elle complètement «là» ? L'impression d'être en vie ne germait pas dans son esprit.

«Idiote ! Je n'aurais pas dû partir de la maison pour aller à Montréal, oh ! mon beau rêve!» pensa-t-elle, sarcastique, en secouant la tête, les yeux fermés si fort que plus aucune image ne pouvait y rentrer. Elle se devait de trouver la cause de cette effroyable tragédie pour ne pas sombrer dans la folie.

Une vie de tourmentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant