Chapitre 7

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Cela faisait tout juste trois mois que l'accident était arrivé. Lucille, assise dans son fauteuil fleuri, écrivait des nouvelles d'elle à sa famille. Il y avait longtemps qu'ils n'avaient pas communiqué ensemble. Amédée était revenu habiter dans leur appartement, car on ne le retenait plus à l'hôpital. Il ressentait moins de douleurs physiques - les moignons s'étaient cicatrisés - et il savait que sa femme allait prendre soin de lui. Elle le lui avait murmuré lorsqu'il était blotti dans son lit blanc, après son opération. Il était assez conscient pour avoir entendu ses paroles et y avoir, bien sûr, cru.

Lucille, de son côté, avait complètement transformé ses habitudes de vie pour s'occuper de son mari. Le matin et le soir et parfois au milieu de la journée, elle devait changer ses vêtements et ses pansements, le nourrir comme un bambin, le laver. Il lui inspirait de la pitié, mais en même temps, elle le trouvait incroyablement courageux. Amédée lui répétait souvent que c'était grâce à elle s'il pouvait supporter son malheur, du fait qu'elle restait avec lui malgré tout.

À cela, elle répliquait : « Jamais, je ne te quitterai. »

Il fallut un certain temps à Lucille avant de comprendre que c'était maintenant son entière responsabilité que de ramener de l'argent à la maison. Elle gagnait un salaire moins important que celui d'Amédée, car elle n'était qu'une simple secrétaire, mais au moins elle rapportait un gagne-pain qui leur permettait de vivre normalement. Elle devait donc laisser Amédée seul six jours sur sept. À chaque fois qu'elle avait l'obligation de quitter la maison, elle peinait de le laisser. C'était une douleur qu'elle ne voulait pas ressentir et surtout pas jusqu'à la fin de ses jours. Elle sentait que lorsqu'elle était présente à ses côtés, il arrivait à radicalement oublier ses blessures physiques et psychologiques. Cette constatation la consolait ; la jeune femme était comme un baume sur les blessures de son mari. Malgré tout, une constatation traîtresse s'imprimait dans son esprit à travers le temps qui passait. Amédé et elle ne se montrait plus autant leur amour qu'auparavant, avant son accident. Pourtant, sans aucun doute, elle l'aimait toujours.

Tout cela, elle ressentait le besoin d'en faire écho à sa chère famille.

L'année progressa et Lucille, aussi. Elle avait obtenu un poste de professeure dans une école primaire d'un quartier défavorisé. Elle enseignait à des enfants de six et sept ans. Ce ne fut pas difficile de s'en occuper, car elle était l'aînée de la famille et avait vécu toute sa jeunesse en compagnie d'enfants. Elle avait pris l'initiative d'engager une infirmière à domicile pour qu'elle s'occupe à temps plein d'Amédée et qu'ainsi elle puisse être hors de la maison sans qu'Amédée en souffre. L'infirmière lui chargeait cinq dollars de l'heure, ce qui était un montant convenable pour les Patenaude, car ils avaient économisé assez d'argent lorsqu'ils travaillaient tous les deux. Son nouveau travail l'occupait beaucoup et elle avait une confiance aveugle envers sa remplaçante. Tenant beaucoup à son travail, elle était donc rarement présente de jour à sa demeure du quartier de Cartierville.

Lors d'une journée où elle avait obtenu congé en raison d'une épidémie de grippe qui affligeait les élèves ainsi que certains professeurs et membres de la direction, elle se retira chez elle comme elle le faisait normalement tous les soirs de semaine. Amédé lui manquait terriblement. Ça faisait si longtemps qu'ils ne s'étaient pas touchés. Leurs moments d'amour, en soirée, étaient rythmées uniquement par quelques effleurements et de petits baisers peu passionnés. À chaque fois que Lucille s'endormait, elle s'en voulait de ne pas le gâter plus. Quelque chose l'en empêchait. Peut-être était-ce le fait qu'après son accident, l'homme de sa vie avait changé du tout au tout.

En entrant fébrilement dans son appartement, elle ouvrit la lumière, car il faisait étonnamment noir. Soudain, ce qu'elle vit lui enleva toute la contenance qu'elle avait adoptée. Amédé était étendu sur le divan, l'infirmière engagée couchée à ses côtés, tous les deux en sous-vêtements. Elle resta bouche-bée et eut envie de vomir. De voir son mari, son amour comme ça, tellement vulnérable, lui donna l'impression qu'elle avait peut-être oublié comment il était malheureux dans ses conditions. Elle aurait dû, après l'accident, le considérer comme l'homme qu'il était vraiment, comme avant. Il était évident que l'infirmière avait fait une grande partie de son devoir à sa place... Quatre mots lui restèrent en travers de la gorge : SON MARI LA TROMPAIT.

Une vie de tourmentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant