Véruca véra

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Nous sommes revenus en début de soirée. Oui on a filé tout était pluvieux mais on passait entre les gouttes avec le système No-Gut. Je l'ai aidé à sortir une bâche en plastique de sa cave pour protéger son PAL-V. Ensuite on est rentré chez elle sans nous parler.

J'aimais bien son flat rack. Trop de souvenirs. Trop de ses souvenirs.

Tous les six mois nous changeons d'axe par rapport au soleil et maman véruca salt change sa déco aussi, tout y passe: le canapé, le tapis, la table basse la table à manger, les plantes, les boites, les portraits encadrés, les coussins et les revues. L'accessoirisation du monde!

Nous ne sommes que des goodies qui essayent d'être ultra-chic mais il y en a qui n'y arrivent pas parce qu'ils ne le veulent pas! Les photos de mes frères sur les murs et sur les commodes. Et moi aussi, je n'étais pas oublié. Elle aimait le noir et blanc pour nos photos. C'était un peu manichéen, mais sans doute on voyait mieux qui nous étions.

notre @me n'irradie pas pareil.

ça m'intriguait: des frères inconnus, morts: un mot tout en pudeur, qu'elle disait avec beaucoup de douceur. Des frères qui pourtant étaient dans son histoire... Parfois elle m'en parlait - tu as fait telle chose comme ... ou elle me racontait des anecdotes à leur sujet. Je riais, un rire vrai.

Trop souvent elle arrêtait de parler d'eux: ça se voyait qu'elle était gênée. Elle s'arrêtait et elle me regardait: elle m'observait en silence. Je savais qu'elle se posait des questions, comme: ils sont partis, définitivement, à quoi ça sert de parler d'eux? Il ne les connaitra jamais. Ou bien elle craignait de me froisser en me jugeant par rapport à eux- ce qui n'était pas du tout son intention. Je la connaissais bien ma mère: quand on a 153 ans je suppose qu'on peut transmettre ce qui est important plus facilement que quand on en a 16. Allez savoir, pourtant: on est tous des crâmés. Et des anarchistes. On a brûlé nos trampolines, puis on a brûlé nos idôles et après on s'est dit merde on a besoin d'un guide, on a commencé une quête initiatique qu'on a jamais terminé parce qu'entre temps on s'était tous logués à l'une des 8 646 url du continent mu.

Sa mère a 153 ans, le physique d'une trentenaire ou quadra et rît devant le film Brazil, qu'elle adore. Mon père a 1010 ans. Le projet Blue Brain (littéralement « cerveau bleu ») a pour objectif de créer un cerveau synthétique par processus de rétroingénierie. Fondé en mai 2005.
Lol oui c'est ce que j'ai trouvé en e renseignant sur papa.

Elle elle a été vétérinaire, enseignante, infirmière, antiquaire, décoratrice d'intérieure. C'est rare d'avoir une mère aussi âgée. Enfin, rare...moitié /moitié. L'autre moitié des gens que je connais ont des mères très jeunes.

Genre, elles les ont eu à 16 ans. Pourtant quand elles organisaient nos gouters d'anniversaire et que tu les voyais discuter ensemble il n'y avait aucune différence. - J'avais 10 ans quand les Mudral ont commencé à attirer les gens. C'est ma génération. C'était encore quelque chose de subversif à l'époque. Ils disaient que c'était des sectes. Des dj-sectes! elle partit dans un long rire. Et maintenant regarde: c'est tout propre et tout mignon. Je n'étais pas dans le mudral. J'avais l'image, mais j'avais coupé le son. Juste parce qu'elle voulait savoir où je sortais. Autant le dire franchement: c'était plutôt moi qui voulais savoir où elle était sortie. Elle avait connu la grande époque où le continent mû avait émergé de l'océan du deepweb, craché par la réalité virtuelle de ton casque immersif, craché en hertz dans ton cerveau par un casque ECG, où tu te retrouvais sur une île comme un url, et qui rejoignais les deux hémisphères de ton cerveau dans un monde de musique 'vivante', réactive, interactive, psychoactive. Elle avait connu l'époque où tu ne pouvais vivre l'expérience que muni d'un matos que tu devais te fabriquer toi-même. On ne vendait pas ça à l'époque. Des armes à imprimer oui, mais pas ça.

LE JOURNAL DE MORPHEEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant