II ~ Corps ~

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   Debout, j'observais encore mon large et laid reflet quelques semaines plus tard. J'étais grosse, c'était un fait. Mais était-ce nécessaire de rendre ce défaut comme une immonde honte ? Était-ce nécessaire de forcer quelqu'un à répugner son propre corps ? À mon sujet, j'entendais souvent « Je ne peux pas me la voir, celle-là ! » ; c'est-à-dire qu'un dégoût immense leur prenait la gorge à ma simple vue. Je ressentais la même chose, mais pour moi. Mon reflet était mon pire ennemi. Haïr une partie de soi était déroutant, c'était renier un bout de son esprit, de son être, sans pouvoir la remplacer, et c'en était plus que déchirant. Cette terrible sensation de ne jamais réussir à changer cette apparence détestable.
   Évidemment, j'avais essayé. J'avais et continuais un régime, mais malheureusement je cédais plusieurs fois par semaine au grignotage. Quant au sport, c'était une autre histoire. Néanmoins, navigant sur des forums en cachette avec ma tablette, je m'étais rapidement rendu compte que certaines filles dans mon cas s'essayaient à des pratiques plus radicales : régurgiter volontairement, cesser de s'alimenter, pour mincir bien plus efficacement, pour maigrir encore plus vite. J'aurais pu m'y mettre également. Les preuves qu'elles apportaient numériquement, photographiquement, étaient probantes. Partant de rondeurs féminines, elles terminaient plus minces qu'une fleur démunie de ses pétales, perdant un ancien charme pour peut-être en découvrir un nouveau. J'avais réfléchi, et réfuté l'idée : la plupart étaient devenues squelettiques, et ce n'était pas ce que je souhaitais.
   Ainsi, je prendrais le long chemin, mon esprit souffrirait plus que mon corps. Il était vrai que souvent la douleur morale était plus violente que la physique, mais c'était ainsi.
   Je m'assis sur le lit, plongeant mes yeux noirs dans ceux de mon reflet avec détermination : je me défiais de regard. Serais-je capable de changer, me permettant de respirer dans ma vie et de peut-être un peu m'aimer ?
   Les quelques fois où j'avais cru voir de légers résultats, ce n'était que de courte durée, et tout s'évaporait. Alors, malgré le régime que j'essayais tant bien que mal de continuer d'appliquer, rien n'y faisait.
   Souvent, j'avais observé d'un air désespéré les chiffres si réalistes et acérés de la balance, mes parents m'observant de loin. Souvent également, ils venaient à moi pour me demander comment je me sentais avec mon poids, si j'avais besoin de matériel de sport, mais je niais, ne souhaitant pas déranger mes parents déjà peu à l'aise financièrement :
— Je me sens bien dans ma peau, ça va, souris-je encore une fois, j'ai peut-être quelques kilos à perdre, mais ça ne m'obsède pas.
   Je voyais un soulagement naviguer dans leurs prunelles brunes, avant qu'un sourire n'étire leurs joues. J'aimais tellement les voir heureux.
   De la joie, oui, ils m'en apportaient, même quand ils se rataient en pensant bien faire.
— Lys, il est l'heure de ton cours de danse ! On va être en retard !
   Chaussons roses dans une main, tutu dans l'autre, je m'approchais à pas lents et mesurés de la porte : de nouveau un mensonge.

12 (faux) Sourires | TERMINÉE |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant