III ~ Danse ~

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   Assise côté passager, j'observais le paysage défiler lentement sous mes yeux, appréciant l'illusion que le temps avant de rejoindre le club était long, bien plus long. Mon père me questionnait sur les études, sur l'avancement de mes projets quelconques, et sur mes amis. Comme d'habitude, je reprenais les noms inventés et lui contais une vie sociale imaginaire. Cela paraissait fou, cela pourrait me monter à la tête, mais c'était mon moyen de lutter contre la réalité, et de savoir mes parents rassurés.
   S'il y avait une chose que je ne supportais pas, c'était bien de voir les êtres les plus chers à mes prunelles être mis à mal pour moi, sans que je ne puisse rien faire pour leur rendre la pareille. J'avais donc trouvé la solution de ce faux bonheur, de cet invraisemblable entrain pour l'avenir.
   La voiture s'arrêta, nous étions arrivés. Je pris mon temps pour sortir, prendre mes affaires, fermer la portière... mais ces efforts ridicules que je fournissais une fois par semaine ne tendaient à rien puisqu'à chaque fois je me retrouvais devant la grande entrée du club de danse. Mon père me salua de la main et repartit après m'avoir rappelé qu'il reviendrait dans deux heures, après le cours. À chaque fois, j'avais une sensation d'abandon, de solitude face aux autres, mais c'était ainsi.
   Concierge saluée, carte passée, je me pressai vers les vestiaires déjà quelque peu remplis et m'assis à l'écart des autres, sur un banc fin ; toujours un peu trop pour moi. Là, je laissai tomber des vêtements pour terminer en buste au corps trop moulant, dessinant avec grossièreté les moindres de mes rondeurs. Je glissai le tutu jusqu'à ma taille, passant toujours difficilement les jambes. Souliers enfilés, je me levai et partis vers la salle d'entraînement où se trouvaient certaines de mes camarades. On me salua, j'y répondis, mais cela n'allait jamais plus loin, autant dans le bon que le mauvais sens, et je m'y accommodais parfaitement.
   Troupe de petits rats complète, professeure arrivée, les échauffements commencèrent. Autour de moi, chacune se pliait avec raffinement, force et agilité, tandis que je peinais à les suivre. Puis, c'était un face à face avec mon meilleur ennemi. La différence était probante, comme à chaque fois. Parmi ces jeunes filles gracieuses, minces et délicates, se trouvait une tâche informe. La différence me serrait le cœur à chaque fois : je n'étais pas du groupe, ce n'était pas ma place, c'était un fait, et le fossé entre elles et moi ne se comblait pas.
   Enfin sortie, je rejoignis mon père qui m'interrogea sur le programme d'aujourd'hui.
— Tout s'est bien passé, c'était super !
   Ses yeux se plissèrent de bonheur tandis qu'il rappelait de sa voix grave, enjoué :
— Je suis tellement heureux de te voir comblée par ce cadeau ! Combien d'années déjà, que tu danses ? ajouta-t-il avec un froncement de sourcils.
— Cinq ans, comptai-je, encore merci, papa ! C'est l'un des plus beaux cadeaux de ma vie, je suis tellement bien là-bas !
   Aujourd'hui encore, mon sourire était beau, grand, et faux.

12 (faux) Sourires | TERMINÉE |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant