VI ~ Cœur ~

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   Alors que nous fumions dans un coin en discutant, Lukas finit par m'avouer :
— C'est étonnant que tu n'aies jamais été en couple, t'es une fille superbe !
   Je bredouillais alors sous le choc, joues brûlantes, trop habituée aux insultes et moqueries. Il éclata de rire ; une brume s'échappa de ses lèvres à ce moment, chatouillant mes joues sèches.
— Allez, on rentre vite, tu vas prendre froid !
   Je hochai la tête et suivis sa silhouette à peine plus grande que la mienne ; j'avais pris l'habitude de me tenir à son sac lorsqu'il y avait trop de monde, mais ce fut désormais gênée que je me cramponnais à la sangle noire.
   La journée me sembla pénible : habituée à m'asseoir sereinement aux côtés de Lukas, je me sentais maintenant mal à l'aise. S'il me parlait, je ne savais plus où regarder : ses noisettes foncées ou ses lèvres rosées, légèrement abîmées par l'hiver ?
   L'évidence même était que mon ami était beau ; du moins, selon mes critères, soit à mon goût. Je ne niais pas avoir déjà observé son visage, sa taille fine, ses bras minces, et aimer l'écouter rire – mon ventre se nouait à ces moments. Pourtant, j'avais toujours réussi à refouler tout cela, ne voulant pas le perdre pour une idiotie pareille.
   Aujourd'hui me donnait à réfléchir : y avait-il un sous-entendu à sa phrase, comme le fait que je lui plairais ? J'en rougis avant de perdre mes couleurs face au miroir : pouvait-il vraiment aimer une fille de cette corpulence ?
   Au fur et à mesure des jours, des semaines, des mois, je sentais mon corps bien trop s'emballer à ses côtés. Que de fois l'aveu m'avait brûlé lèvres et doigts ! « Que lui dire, après tout ? » me reprenais-je à chaque fois ; et je cherchais à me donner l'illusion que je n'étais pas amoureuse.
   En début de mois de février, la situation était devenue insupportable. Dès que je croisais son regard, mes joues se réchauffaient et mes iris plongeaient vers mes pieds. Quand ses phalanges chaudes effleuraient ma main, mon abdomen se tordait violemment. Plus que tout, je voulais lui dire, particulièrement à l'approche de la Saint-Valentin.
   C'était donc ce quatorze février que j'avais proposé à Lukas d'aller boire un chocolat accompagné de quelques pâtisseries ; il avait accepté sans se douter de quoique ce soit. Depuis plusieurs jours, je réfléchissais à comment lui avouer, à toutes les situations qui pouvaient survenir, à quels mots prononcer actuellement, mais aujourd'hui, le vide. C'était un brouillard dans mon esprit, plus rien ne m'était resté, et j'en étais terrorisée.
   Pendant que nous grignotions – du moins j'essayais avec l'angoisse qui nouait ma gorge – nous papotions de tout et rien. Finalement, nous repartîmes du petit café pour marcher vers l'arrêt de bus dans les rues froides. Mains dans les poches, je jetais quelques coups d'œil vers lui, nerveuse : les mots ne passaient pas mes lèvres, et la fin de ce "rendez-vous" se rapprochait trop vite.
   On se faisait la bise, il avait la main sur mon épaule, j'étais rouge, et puis, ça s'est échappé. Interloqué, il battit des cils plusieurs fois tout en me fixant pour être certain de ne pas avoir rêvé – ou plutôt cauchemardé – lorsque je lui avais prononcé et gémi un « je t'aime ».
   Les yeux allant de droite à gauche, il se mit à baisser la tête, et les mots dont je me doutais vinrent frapper ma réalité :
— Je suis désolé, mais ce n'est pas réciproque... Ne sois pas triste, hein ? ajouta-il en relevant ses noisettes vers mon visage crispé.
— Ça va, je vais bien !
   J'avais pris mon air enthousiaste, et je lui avais offert un sourire heureux et rassurant. Je ne le laissai pas me répondre et montai dans le bus, prétextant que le prochain passerait dans trop de temps – quelle chance qu'il soit arrivé si tôt. Assise dans le fond, je crispais la mâchoire pour ne pas pleurer, le cœur tout enflé.

12 (faux) Sourires | TERMINÉE |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant