Les Chroniques de l'Immortel, tome 1 : Linaëlle

Chapitre 33 : Une raison de vivre (partie 1)

       

- Tu devrais dormir, trésor.

- Je dois terminer de vérifier les comptes qu'a fait Cassildey.

- Il y a longtemps que Cassildey ne fait plus d'erreurs dans ce domaine et que tu le laisses gérer cela seul. Ce n'est pas cela qui te tracasse.

Linaëlle releva les yeux du livre aux pages couvertes de colonnes de chiffres. Les yeux gris la regardaient, en attente d'une réponse. Les cheveux avaient blanchi, les rides s'étaient accentuées, le corps peut être un peu relâché, mais ses iris d'acier restaient inchangées depuis le jour de leur rencontre, aussi implacables que compatissantes, elle demandaient une réponses qu'elle leur accorda à regrets. 

- Il y a encore eu des victimes hier...

Avec un soupir, Elmira referma la porte du bureau.

- Nous avons déjà eu cette conversation, tu sais que tu ne peux rien y faire, tempéra sa mère en s'installant devant elle.

- Vingt-huit mille quatre cents soixante-treize personnes innocentes sont mortes à cause de moi ! s'exclama-t-elle en bondissant sur ses pieds, gagnant la fenêtre d'où l'on pouvait admirer la cité endormie.

- Et bien plus te doivent la vie, Linaëlle ! À chaque attaque tu t'envoles pour les secourir, tu passes tes journées à recueillir les survivants et à veiller sur eux, et quand ce n'est pas toi, ce sont tes Prodiges qui parcourent le continent en ton nom pour apporter de l'aide. Tu fais le maximum pour les habitants de ce continent, comme chacun d'entre nous. Le fait que tu saches mettre fin à cette guerre ne veut pas dire que tu peux le faire maintenant. Quand l'occasion se présentera, tu feras ce que tu as à faire, mais tu n'y parviendras pas si tu ne te reposes pas un minimum.

La jeune femme demeura silencieuse, les yeux perdus dans le vague. Son esprit s'assurait que ses protégés, bien qu'amplement capables de se débrouiller seuls, se portaient bien. Les « Prodiges » les avaient surnommé les gens. Les enfants qui avaient grandi en une nuit. Ils ignoraient à quel point le temps leur donnerait raison. Ils étaient doués, terriblement doués. Individuellement, tous dépassaient leur professeur en terme de puissance brute. Ensemble, ils devenaient capables de véritables miracles et faisaient la fierté de la Princesse Héritière. Parcourant les routes en son nom, ils se forgeaient ainsi expérience et réputation, au grand dam de la Directrice Oth'Ferim qu n'avait aucune autorité sur eux. L'esquisse d'un sourire effleura les lèvres de Linaëlle quand elle constata que tous les six dormaient paisiblement. 

- Tu as raison, admit-elle en pivotant face à sa mère qui attendait patiemment qu'elle revienne. Comme toujours. Mais je ne peux m'empêcher d'y penser.

- Je sais, souffla Elmira, mais cela ne doit pas t'empêcher de vivre, ne serait-ce que pour les garçons et Adam.

La Reine posa un baiser tendre sur la joue de sa fille qui lui rendit la pareille. D'un commun accord, toutes deux retournèrent chacune dans leurs quartiers. Ne trouvant pas son mari dans leur chambre, Linaëlle le localisa dans celle de leur aîné, où elle se rendit aussitôt. Assis sur le lit, Adam consolait Jayden qui sanglotait bruyamment.

- Alors, mon chéri, qu'est ce qu'il se passe, tu as fait un cauchemar ? demanda doucement la jeune femme en les rejoignant sur le lit.

Le garçonnet de tout juste six ans bondit des bras de son père pour se réfugier dans ceux de sa mère.

- Tu partais... Et tu... Nous laissais tout... seul, hoqueta le petit, pendu à son cou.

- Tu sais bien que je ne vous abandonnerais jamais mon cœur, je suis là, regarde. C'était seulement un mauvais rêve, l'apaisa Linaëlle.