Une vive douleur dans mon bras.
Je me mordis la langue pour ne pas hurler. Pris une profonde inspiration, les yeux fermés.
Bon sang, la douleur était insupportable ! Mais je ne devais pas le montrer. Je ne devais pas crier, ni rester à terre, le nez sur ce sol dur et froid. Je devais me relever, montrer que j'étais un soldat, digne de protéger la famille royale.
Oui, il le fallait. Sinon Hector allait encore me punir. En durcissant mon entraînement, ou en me privant de repas. Debout, vite. Surtout, ne pas montrer la souffrance, cette souffrance qui tord mon visage et me vrille le bras.
Je me relevai péniblement. Allais-je tenir debout ? Je vacillai, incertain, à bout de forces. Et pourtant, je ne quittai pas mon adversaire du regard, un regard qui lui prouvait que ce n'était pas fini, que je pouvais encore combattre. Que j'étais digne de lui.
Hector me fixa un instant. Aucune émotion dans ses yeux. A vrai dire, la seule émotion que je lui avais jamais vue était la haine, cette haine terrifiante, au premier jour, celui où je l'avais rencontré. Depuis, plus rien. Un masque froid et neutre. Encore plus effrayant, peut-être.
Finalement, mon maître se détourna d'un air dédaigneux.
- Fin de l'entraînement.
J'eus un discret soupir de soulagement et détendis légèrement mon corps contracté. Mais les mots de mon mentor, assénés comme des coups de hache, me mirent brusquement plus bas que terre.
- C'était médiocre, comme d'habitude. Ce n'est pas demain que tu arriveras à te défendre convenablement face à moi.
Mes épaules se voutèrent un peu plus et je rentrai la tête comme un enfant pris en faute. Ce n'est pas que je n'avais pas l'habitude, loin de là. Hector était un professionnel de ces petites remarques dures. Mais je voulais tellement le surpasser, lui prouver que, moi aussi, je pouvais être utile !
- Je sais. Désolé. Je ferai mieux la prochaine fois.
- J'espère bien, Ylan, me lança-t-il en s'éloignant, sans même me regarder.
Je le regardai s'éloigner sans bouger, soudainement vidé de toutes mes forces. J'avais envie de m'écrouler à nouveau dans la poussière, pour ne plus bouger, dormir, enfin. Mais j'ordonnai à mes jambes tremblantes de faire un pas, et mon corps obéit, malgré les bleus, les courbatures et toute cette fatigue et toutes ces douleurs.
Je me laissai tomber à l'extrémité d'un banc de la salle commune. Le plus loin possible des autres. Je n'aimais pas cet endroit, mais ma chambre était trop sombre pour ce que je comptais faire.
J'approchai mon bras de la lumière, l'inspectant sous toutes les coutures. Il n'avait pas l'air trop amoché. Je n'avais sûrement pas besoin d'aller à l'infirmerie. Dieu que je haïssais ce lieu.
Pour en être sûr, je palpai un peu la peau, réfrénant quelques gémissements de douleur. Cela ne semblait pas si grave. J'avais déjà survécu à pire.
Je relevai un peu la tête. Autour, les autres soldats parlaient entre eux sans faire attention à moi. Comme d'habitude. Et, comme d'habitude, Hector n'était pas là. Déjà dans sa chambre, supposai-je. Lui non plus, il n'aimait pas la salle commune.
Je me levai et passai entre les tables, les chaises et les bancs sans regarder personne. Je ne tremblais plus. J'avais retrouvé quelques forces, suffisamment au moins pour marcher convenablement. Et tant mieux. Je n'aimais pas étaler ma faiblesse devant les autres.
Je savais ce qu'ils se disaient en me voyant. Je savais qu'ils me trouvaient étrange. Parce que je ne me mêlais pas à eux, parce que je passais mon temps dans ma chambre ou la salle de sport. Parce que j'étais l'élève d'Hector, surtout. Je pouvais presque les entendre chuchoter des médisances sur mon passage. Ils n'avaient rien de mieux à faire, ces commères.
J'avais presque atteint la porte, la fin de ce calvaire, quand celle-ci s'est ouverte brusquement. L'homme qui venait de débouler eut un mouvement de recul en me voyant, mais se reprit brusquement pour crier à la cantonade :
- Tous dehors ! La famille royale vient visiter la caserne !
Aussitôt, ce fut le désordre. Les soldats se levèrent brusquement, empoignant au passage leur arme si elle était posée près d'elle, avant de sortir précipitamment de la pièce.
Seul, je ne bougeai pas.
Je haïssais la famille royale. Enfin, ma famille.
Je ne voulais pas les voir. Eux qui m'avaient abandonné, qui ne savaient même pas que j'existais. Je les haïssais de tout mon être. Je ne voulais pas les voir. Je ne pouvais pas supporter de les voir. Et en même temps, j'en crevais d'envie.
Je ne savais pas ce que je voulais. Je ne savais pas ce que j'étais.
Embrouillé, contradictoire, indéfini. Plein d'amertume, de regrets et de secrets.
Tout comme cette famille.
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Les Origines : Ylan
FantasyCe jour-là, tout en moi est mort. Cette haine qui m'avait servi de pilier, cette jalousie sur laquelle je m'étais construit, cette rancœur qui me maintenait en vie, tout a disparu au moment où mes pulsions ont pris le dessus. A ce moment-là, Ylan es...