La nuit noire et glacée m'enveloppait d'un voile sombre. Tout autour de moi, c'était le silence, un silence à peine troublé par le bruissement imperceptible du vent dans les feuilles des arbres.
Me glisser dans l'enceinte du palais avait été plutôt simple. Les gardes étaient peu nombreux de ce côté-ci. La plupart étaient postés plus près des appartements royaux. Il m'avait suffi d'éviter une patrouille pour pouvoir ensuite grimper silencieusement le mur et me glisser dans les jardins.
A présent, j'étais tapi dans l'obscurité, les yeux fixés sur la porte-fenêtre éclairée. C'était là que se trouvait mon but.
Cedro.
Depuis que j'avais décidé de le tuer, je n'avais plus trouvé de repos. Cette idée me taraudait sans cesse, m'empêchait de dormir et de me concentrer. Je devenais fou. Il fallait que je tue Cedro, par n'importe quel moyen.
Toutes mes pensées étaient consacrées à ce but ultime, à la solution qui me sauverait de la haine, de cet avenir fade, de cette souffrance à laquelle je semblais destiné.
Dès que j'étais sorti de l'infirmerie, j'avais mis à profit ma nouvelle condition de soldat accompli pour chercher un moyen d'y parvenir. Avoir battu Hector me procurait une liberté que je ne connaissais pas. J'aurais pu en profiter pour prendre un peu de temps libre, mais je me consacrai entièrement à ma tâche.
Je réussis d'abord, en me promenant dans les ruelles douteuses de la ville, à me procurer une carte du palais qui semblait à peu près exacte, si l'on s'en tenait à l'aspect extérieur de l'édifice.
Je retrouvai ensuite la personne qui l'avait vendue au vieux marchand. C'était un ancien garde royal passé à la solde d'un noble véreux. Il avait donc quitté le château, mais sa mémoire photographique lui avait permis d'en dessiner une carte très précise. Je l'interrogeai longuement sur les habitudes de la famille royale, sur les tours de garde des soldats qui gardaient le palais, sur la disposition des portes et fenêtres.
Une fois toutes les informations en tête, tout le matériel à disposition, je réfléchis à un plan.
Le mieux était d'opérer la nuit. De jour, la famille royale était presque toujours entourée de nombreux courtisans et encadrée de plusieurs gardes royaux. Impossible de s'infiltrer discrètement parmi les gens de la cour. Avec mes habits pauvres et mes manières de soldat, j'aurais été facilement démasqué. Se faire passer pour un domestique ? Ils avaient tous un badge impossible à imiter et à voler qui leur ouvrait magiquement les portes du château.
Impossible de se déguiser. Je devais donc m'infiltrer sans me faire repérer.
Il fallait choisir un soir de fête. La plupart des gardes étaient postés près de la salle de réception. En général, un seul accompagnait Son Altesse Cedro lorsqu'il rentrait dans ses appartements.
C'était là que tout se compliquait. Car entrer dans le château n'était pas si difficile si l'on connaissait les horaires des rondes des gardes.
J'allais probablement devoir mettre hors d'état de nuire un garde royal sans me faire repérer.
Je n'avais pas le choix, de toute façon. C'était cela, ou renoncer à ma vengeance.
Le risque d'être découvert était grand. Et alors je serais condamné à mort et pendu. Je savais aussi que je n'aurais qu'une seule chance. Si je ratais mon coup, ce serait perdu. Parfois, je me disais qu'il valait mieux abandonner tout de suite. Que de toute façon, je n'étais qu'un mort en sursis.
Et puis je repensais à Cedro, à son visage royal, à tous ceux qui l'admiraient et l'adulaient. Et la haine me reprenait, et la colère me rongeait le ventre, et la jalousie me tordait les entrailles. La conscience de ma propre infériorité me donnait des envies de meurtre. Je voulais voir sa vie s'échapper sous mes doigts serrés sur son cou. Je voulais voir ses beaux traits fins se déformer sous la douleur, je voulais le voir gémir et crier et supplier sans qu'un son ne puisse s'échapper de sa gorge.
Et cette idée m'obsédait, me torturait, me hantait sans répit, tous les jours et toutes les nuits.
A certains moments, je me demandais si je serais capable d'accomplir le geste fatal, au moment venu. Je n'avais jamais tué personne. Parviendrais-je à ôter la vie à quelqu'un ? A réduire en fumée une existence ? A réduire à néant un être si jeune et si innocent, qui plus est de ma propre famille ?
Si je le faisais, je deviendrais un assassin et un fratricide. Plus de retour en arrière possible. Je sombrerais dans l'abîme de folie et de haine qui me guettait depuis le jour de ma naissance. L'enfer s'ouvrirait sous mes pieds et j'y tomberais pour l'éternité.
Oserais-je le faire ? Je n'aurais qu'une chance. Réussirais-je à lui donner le coup fatal ?
C'est à cela que je pensais, caché dans les jardins du palais, les yeux fixés sur la fenêtre éclairée. Je sentais les battements de mon cœur se répercuter dans mon corps entier, tambour sourd et rapide qui me faisait trembler.
La fenêtre était à quelques mètres au dessus de moi. En réalité, c'était plus une porte de verre qui donnait sur un petit balcon. Une branche d'un arbre s'en approchait suffisamment près pour que je puisse l'atteindre.
Refoulant ma crainte, réprimant mes tremblements de stress, je pris appui et commençai à grimper. Le tronc était rugueux, suffisamment pour me permettre de monter assez facilement. J'atteignis la branche en question sans encombres.
Mon regard plongea dans la lumière. C'était bien la chambre du prince, une chambre luxueusement décorée, aux murs tendus de lourdes et riches tapisseries, au lit moelleux et aux proportions gigantesques.
A l'intérieur, Son Altesse semblait en grande conversation avec une jeune fille brune habillée d'une robe splendide. Le garde ne semblait pas là. Cedro l'avait peut-être renvoyé pour pouvoir parler en privé, mais je devais rester prudent.
Je me laissai glisser sur le petit balcon. D'ici, j'étais invisible. J'étais hors de vue des gardes qui patrouillaient en bas, et ceux qui, comme Cedro, sont dans la lumière, ne peuvent voir les gens dans l'ombre.
La famille royale était tout de même bien imprudente de laisser un arbre aussi près d'une entrée. Selon l'ancien garde royal, c'était un caprice du petit Cedro qui passait parfois par là pour sortir en cachette de ses appartements. Comme il n'y avait jamais eu d'attaques et que tout le monde adorait le jeune prince, on lui avait cédé.
C'était justement ce qui allait causer sa perte.
La lumière qui filtrait de la fenêtre fut soudain plus tamisée. Mon cœur fit un bond. Cedro était-il seul ? Je risquai un coup d'œil.
Le prince referma la porte derrière la jeune femme, avant de donner un tour de clé. Puis il s'assit sur son lit, l'air mélancolique.
Je sentis une vague d'adrénaline parcourir mon corps. Cedro était seul. Parfaitement seul. C'était le moment.
A cette pensée, je sentis tous mes muscles se crisper. Mes mains qui serraient mon poignard devinrent moites. J'inspirai difficilement.
Pas d'hésitation. Pas de peur.
Juste la haine.
Je me levai et brisai la porte de verre.
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Les Origines : Ylan
FantasyCe jour-là, tout en moi est mort. Cette haine qui m'avait servi de pilier, cette jalousie sur laquelle je m'étais construit, cette rancœur qui me maintenait en vie, tout a disparu au moment où mes pulsions ont pris le dessus. A ce moment-là, Ylan es...