Lorsque je me réveillai ce matin-là, j'avais toujours ce drôle de goût dans la bouche. Ce goût amer de la haine et de la défaite.
Je me levai lentement. La tête me tournait un peu. Je restai un moment sans bouger, avant de tourner le regard vers mon lit.
Mon matelas et les draps gris étaient tâchés d'un sang séché d'une couleur presque noire.
J'ouvris la bouche, avant de tâter légèrement ma langue. Ce geste m'arracha une légère grimace de douleur. Pas de doute, c'était bien de ma bouche dont venait tout ce sang. Ma langue était encore blessée. Mais ce n'était rien, j'en avais l'habitude.
Tout à coup, quelque chose me revint en mémoire.
Le tournoi. C'était aujourd'hui.
Aujourd'hui, pour la première fois, j'allais combattre devant ma famille. Aujourd'hui, j'allais pouvoir faire mes preuves.
Et je me fis une promesse.
Aujourd'hui, j'allais vaincre Hector.
Prendre ma vie en main. Battre mon mentor pour devenir un soldat. Surpasser mon maître pour sortir de mon statut d'élève. Leur montrer ma vraie valeur. Montrer que j'étais fort, plus que tous les autres.
Aujourd'hui, je voulais que le monde entier me regarde et assiste à mon triomphe.
Parce qu'aujourd'hui, je le voulais et j'en étais sûr, j'allais vaincre Hector.
Cette résolution me redonna du courage. Je pris une grande inspiration avant de sortir de ma chambre sans regarder personne.
Je mangeai peu et rapidement, évitant le plus possible de rester dans le réfectoire. Je détestais cette pièce toujours bondée à l'heure des repas, remplie de bruits, de discussions et d'odeurs écœurantes. Dès que j'eus fini mon assiette, je me levai et sortis, soupirant de soulagement une fois la porte refermée.
Je me dirigeai ensuite vers la salle de sport. Il était suffisamment tôt pour que j'aie le temps de m'entraîner un peu, avant le rassemblement dans la cour du château. La petite salle était déjà occupée par trois hommes qui soulevaient des poids tout en discutant un peu, mais je ne fis pas attention à eux et m'installai dans un coin, avant de saisir une épée.
Je fixai le mannequin sur lequel je m'étais acharné la veille. Il était tout déchiré, et le rembourrage s'échappait du tissu.
Perforer une cible fixe, c'était une chose, mais vaincre un soldat expérimenté en était une autre. Même si ma force et ma vitesse étaient à peu près équivalentes à celles d'Hector, il avait une technique et une endurance qui me manquaient.
Je ne l'avais jamais battu. Qu'est-ce qui me faisait croire que j'y parviendrais ce jour-là ?
Je serrai la garde de l'épée dans mes mains, m'humectant nerveusement les lèvres. Je sentais le stress gagner du terrain en moi. Et si je n'étais pas à la hauteur ? Perdre devant Hector, devant toute la garde, devant ma famille... perdre devant moi-même, je ne pourrais le supporter.
Je devais gagner. Je devais gagner.
Tout à coup, une alarme violente me tira de mes pensées. C'était l'heure. Tous les soldats devaient passer dans l'armurerie prendre leur arme, puis se rassembler devant le fort pour gagner ensuite le château royal.
J'attrapai rapidement ma hache avant de rejoindre le lieu indiqué. Encore une fois, nous étions organisés en rangs impeccables et militaires, qui seraient sûrement du plus bel effet pour le foutu spectacle de ce foutu roi.
Encore une fois, je gardais un visage impassible. J'en avais l'habitude. C'était si facile à présent.
A côté de moi, Hector semblait confiant. La tension dans ses muscles était un peu plus relâchée que d'habitude. Je le savais, à force de l'observer, j'avais appris à remarquer le moindre petit détail de son corps, de son attitude. Chaque fois qu'il combattait, je le fixais, fasciné par ses mouvements secs et précis. Je cherchais une faille et n'en trouvais pas. Je finissais frustré de le voir si parfait, mais la tête emplie du rêve de le surpasser.
De mon côté, j'étais de plus en plus nerveux. Ma langue passait sans arrêt sur mes lèvres et je me sentais tanguer légèrement. Mais je ne perdais pas de vue mon but. Chaque fois que cette pensée me revenait en tête, je raffermissais ma prise sur mon arme et redressais la tête.
Bientôt, ce serait ma victoire.
Je pensais encore à cela lorsque nous passâmes sous le porche de la muraille pour pénétrer dans l'immense cour du château. Celle-ci avait été aménagée pour l'occasion d'une tribune entourant une arène de sable clair. Déjà les spectateurs étaient assis, en une foule immense et colorée, bruyante et joyeuse. Principalement des nobles, mais aussi quelques riches bourgeois. Des gardes royaux, reconnaissables à leur armure dorée, veillaient du haut de l'estrade.
La loge royale, tendue de lourds draps pour protéger la famille royale du soleil, était encadrée par une vingtaine de ces gardes. Le métal doré étincelant, leurs longues lances, leur proximité avec les souverains, tout indiquait leur réussite et leur prestige.
Être admis comme garde royal, c'était la récompense, l'accomplissement d'une vie de soldat, l'honneur suprême. Les recrues étaient triées sur le volet, parmi les militaires les plus méritants, ceux qui s'étaient distingués par leur bravoure et leur loyauté.
Tout soldat en rêvait.
En passant devant eux, plusieurs d'entre nous tournaient légèrement la tête pour admirer les armures scintillantes et les visages sérieux des gardes, et je ne pus m'empêcher de les imiter.
Cependant, je ne les enviais pas, malgré les dorures rutilantes, le signe incontestable de leur réussite. Ils n'étaient que de pauvres chiens au service de la famille royale.
Mais, en jetant un coup d'œil à Hector, je remarquai que son corps était tout à coup incroyablement crispé. Il n'avait plus cet air détendu, ni même ce visage neutre que je lui connaissais. Une tension inhabituelle semblait émaner de lui. Je ne l'avais jamais vu ainsi, et je me demandai ce que cela signifiait.
Je ne pus cependant pas m'interroger plus longtemps car un son de trompette résonna dans la cour.
Le tournoi commençait.
VOUS LISEZ
Les Origines : Ylan
FantasyCe jour-là, tout en moi est mort. Cette haine qui m'avait servi de pilier, cette jalousie sur laquelle je m'étais construit, cette rancœur qui me maintenait en vie, tout a disparu au moment où mes pulsions ont pris le dessus. A ce moment-là, Ylan es...