La douleur me transperça avant même que j'ouvre les yeux.
Je ne pus contenir un gémissement. Tout mon corps me brûlait. Et il me semblait qu'un poids énorme me pesait sur la poitrine et m'empêchait de respirer.
Difficilement, j'ouvris les paupières. La lumière crue m'aveugla aussitôt. Je me sentis soudainement faible, fragile, comme un nouveau-né. Comme si l'armure de glace que je m'étais forgée durant toutes ces années venait d'éclater et me laissait à nu.
Tout me revint brutalement. Tout ce qui s'était passé. Les faits m'agressèrent, avec leur sombre violence.
Mon maître avait essayé de me tuer.
Je me sentis soudainement... vide. Comme si plus rien ne pouvait jamais m'affecter, parce que je n'existais pas. Vide de tout, de forces, d'énergie, de sentiments. Vide et abandonné de tous.
Tout était blanc autour de moi. Des lits blancs, des murs blancs, des voiles blancs. Mon esprit, blanc aussi. Une page vierge. Tout avait été effacé. Un violent coup de gomme venait de faire disparaître tout ce que j'étais.
Cependant, je ne souffrais plus. Physiquement, du moins. Ma blessure à la jambe avait été pansée, et je me trouvais dans un lit confortable. Mon corps était étrangement relâché, détendu. Cette sensation m'étonna. Cela ne m'était pas arrivé depuis si longtemps... Avant, j'étais tout le temps crispé, sur le qui-vive. Alors qu'à cet instant, j'étais juste bien.
Une silhouette passa dans mon champ de vision, s'interposant entre moi et la lumière. Je levai les yeux.
C'était l'infirmier, qui me sourit avec une bienveillance dégoulinante de pitié.
- Bonjour, Ylan. Tu vas mieux ?
Je détournai le regard et restai muet. Je n'avais pas envie de parler.
- Tu es resté un long moment inconscient, continua l'homme sans être gêné par mon mutisme.
Je soupirai tout en fixant mes mains. Je ne voulais pas bavarder, et encore moins avec lui. Mais il ne parut pas s'en apercevoir.
- Tu n'as pas eu de chance. Tu es tombé sur le pire maître possible. Heureusement que des soldats qui sont passés ont réussi à le retenir. Sinon, tu serais mort à l'heure qu'il est.
Autrefois, j'aurais réagi aussitôt. Je lui aurais probablement bondi dessus, et l'aurais frappé, encore et encore, jusqu'à ce qu'il retire ses paroles. Autrefois, sa remarque m'aurait blessé dans ma chair. Autrefois, je n'aurais pas supporté qu'on dise du mal d'Hector.
A présent, tout m'était égal.
Il y eut un silence, et je sentis le regard de l'infirmier posé sur moi. Il me brûlait la peau, me dégoûtait, mais je n'y prêtai pas attention.
- Hé, petit... Tu ne savais pas la vérité, pour Hector, hein ?
Je ne répondis pas.
Non, je ne savais rien d'Hector. Malgré tout ce temps passé à l'observer, à l'affronter, malgré mon admiration, malgré toutes mes illusions, je n'avais jamais rien su de lui.
Je ne voyais de lui que la surface, le masque derrière lequel il se cachait, ce rocher indéchiffrable. Je n'avais jamais rien su de ce qu'il pensait, de ce qu'il ressentait, de son passé, de ses motivations, ses buts, ses rêves, ses rancœurs, ses espoirs.
Il n'était pour moi qu'un parfait inconnu que je pensais connaître.
Mais cela m'était égal à présent.
La voix de l'infirmier me tira de mes pensées, empreinte d'une espèce de joie malsaine, de sombre jubilation.
- Hector a toujours été un bon soldat, un très bon même. Prêt à mourir pour sa cause. Et sa cause, c'est la famille royale.
Je ne réagis toujours pas, me contentant de fermer les yeux. Cependant, chacun de ses mots s'incrustait, se gravait en moi.
L'histoire d'Hector. Le passé de mon maître.
- C'est un... un fanatique. Oui, c'est le mot. Un fanatique. Prêt à toutes les atrocités pour ce qu'il sert. Il déteste être inutile. Dans le sens de ne plus avoir de cause à défendre. Perdre son rôle dans la société. Je crois que ça l'aurait tué.
Un silence ; l'infirmier cherchait ses mots.
- Hector, il a toujours été bizarre. Pas comme les autres. C'est quelqu'un de solitaire. Ici, on est tous soudés, tu vois, on se serre les coudes. Pas lui. Il reste tout seul. T'es un peu pareil, remarque. Vous vous êtes peut-être bien trouvés, au bout du compte.
Je ne relevai pas.
Oui, j'étais comme mon maître. Oui, j'étais celui en retrait, celui qui passait son temps seul quand les autres s'amusaient.
Mais n'était-ce pas normal de prendre pour modèle la seule personne que l'on connaissait ?
- Il a le sang chaud, Hector. Il est indépendant. Il aime pas les ordres. C'est à cause de ça qu'il...
L'homme s'interrompit, soupira, avant de reprendre.
- Il rêvait de devenir garde royal. C'était toute sa vie je crois. Le moyen d'approcher ces souverains qu'il admire tant. Mais un jour, il a fait une erreur. Une erreur qui l'a empêché d'accéder à ce grade, juste avant sa promotion. Il a désobéi à un ordre direct de ses supérieurs, ce qui a mis la famille royale en danger.
Je comprenais mieux, à présent, l'étrange raidissement de son corps lorsque nous étions passés devant les gardes royaux. Ce grade, c'était ce dont il rêvait depuis toujours. Il avait fait une erreur, une simple erreur, qui avait détruit ce rêve alors qu'il était juste à portée de main.
Et comme punition, on lui avait confié un fardeau. Un enfant dont il faudrait s'occuper. Un boulet, une chaîne à son pied.
La rancœur et la jalousie qu'il éprouvait envers ceux qui l'avaient empêché d'attendre son but s'étaient peu à peu transformés en haine. Une haine féroce, animale, contre moi qui n'avait rien demandé.
Sans m'en douter, j'avais toujours été entouré par la rancune.
Personne, jamais personne ne s'était réellement soucié de moi. Je n'avais toujours été qu'un fardeau encombrant, une charge dont on devait se débarrasser. Mon père, ma mère, mon maître. Tous ceux qui m'entouraient ne rêvaient que de ma disparition. Le simple fait d'exister me vouait à leur haine.
Mais tout cela m'était égal.
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Les Origines : Ylan
FantastikCe jour-là, tout en moi est mort. Cette haine qui m'avait servi de pilier, cette jalousie sur laquelle je m'étais construit, cette rancœur qui me maintenait en vie, tout a disparu au moment où mes pulsions ont pris le dessus. A ce moment-là, Ylan es...