Un silence solennel s'était imposé dès que le roi s'était mis à parler. Sa voix claire déchirait l'air comme un assourdissant coup de tonnerre, mais je ne l'entendais pas.
J'étais concentré sur mon objectif.
Du coin de l'œil, je fixais Hector, détaillant l'ensemble de son corps. Je l'avais déjà fait des centaines de fois. J'en connaissais les moindres attitudes. Ici, je sentais qu'il était légèrement crispé, plus qu'en temps normal, mais la tension qui l'avait saisi devant la loge royale l'avait quitté.
A présent, il semblait se préparer mentalement aux combats qui allaient suivre.
Je savais que nous allions nous affronter, parce que les élèves combattent toujours leurs maîtres, et ce, chaque année, jusqu'à ce qu'ils remportent la victoire. Peu y arrivaient du premier coup ; certains n'y parvenaient même jamais.
Mais moi, j'en avais la certitude, je vaincrais Hector, pour marquer mon passage à l'âge adulte. Pour leur prouver ce que je valais.
Dès la fin du discours du roi, deux soldats se mirent en place. J'observai leur affrontement d'un œil distrait, l'esprit tendu vers ma bataille à venir.
Au bout d'un moment, dans le fracas des armes, le plus âgé mit l'autre à terre. Des applaudissements retentirent dans les gradins, tandis qu'une voix de stentor clama dans tout le stade :
- Prochain combat : Hector contre Ylan ! Veuillez vous avancer !
Lorsque j'entendis mon nom, je me figeai. C'était à moi. C'était mon tour. Mon combat.
Soudainement, le vacarme de la foule en liesse devint une menace, un son de tambour qui martelait ma tête. L'air commença à me manquer. Je sentis mes jambes mollir sous la peur qui me noyait soudain.
Ne pas faiblir ! J'étais un soldat et j'allais le prouver. J'allais vaincre Hector.
Le moment était enfin venu de prouver ma valeur.
Je m'avançai lentement au centre de l'arène. Chaque pas me paraissait difficile, mon corps était lourd, un poids invisible mais bien présent me pesait sur le torse. Et pourtant, je parvins au centre.
Je levai les yeux vers les gradins, emplis de gens, de formes aux couleurs vives, de martèlements continus et infernaux. La tête me tourna à les voir. Leurs yeux étaient posés sur moi et mon maître. Ils voulaient du sang, ils voulaient du spectacle. Ils voulaient une victoire éclatante. Ils voulaient me voir perdre, ils voulaient me voir gagner, peu importait du moment que les armes s'entrechoquaient.
Ils m'écœuraient.
Je tournai le regard vers Hector. Mon adversaire ne disait rien. Sans un mot, tel un bloc de glace ou une statue, il me fixait, me jaugeait, me jugeait, selon son habitude. Cette fois, aucun sentiment n'émanait de lui. Il semblait totalement imperméable. C'était un roc, un rocher, solide et imposant, et mes regards ricochaient sur sa carapace de pierre sans même l'effleurer.
Plus que jamais, il me paraissait être un parfait inconnu.
Puis un coup de gong retentit, et le combat commença.
Au début, ce fut facile. Nous nous contentions de quelques coups prévisibles, que l'autre parait plus ou moins facilement. Cependant, nos regards ne se lâchaient pas. Tendus, nous fixions notre adversaire, tentant de prévoir ses mouvements, décrypter son attitude et la contraction de ses muscles.
Je sentais mon cœur battre dans tout mon corps. J'entendais ses battements dans mon crâne, comme un rythme presque hypnotisant.
Je ne devais pas faiblir. Pas me laisser prendre à ce petit jeu gentil. Dès qu'il verrait mon attention se relâcher, Hector frapperait. Fort et vite. Je n'aurais aucune chance.
Je devais le prendre de vitesse.
Je pris une profonde inspiration. Chacun de mes muscles était tendu à l'extrême. La moindre parcelle de mon corps était prête à bondir. Cette tension me faisait vibrer. Mon cœur battant dans mon crâne. Jusqu'au bout de mes doigts qui serraient si fort mon arme. Mes pieds bien plantés sur le sol, prêts à donner l'impulsion nécessaire. Mon souffle rapide, de plus en plus rapide.
Mes yeux qui ne quittaient pas les siens. Analysaient ses faiblesses.
Maintenant !
Je bondis. Tout mon corps, chacun de mes muscles se concentra vers mon adversaire.
Puis, ce fut si rapide que je n'eus conscience de rien.
Je sentis juste un grand choc se propager dans mes os, à l'intérieur même de mon corps, me secouer entièrement, me faire vibrer entièrement. Une douleur insupportable me vrilla tout entier. Un hurlement incontrôlé sortit d'entre mes lèvres, mais aucun son ne parvint à mes oreilles.
Je me sentis partir. La douleur était horrible. Elle envahissait mon être par vagues, immenses et puissantes, qui me brûlaient entièrement. Mon esprit faiblissait devant elle, devant ses assauts destructeurs et impitoyables. Le noir s'était fait devant moi.
Je luttai pour ouvrir les yeux. Avec difficulté, je parvins à m'arracher à ces ténèbres, à repousser un instant la souffrance.
La lumière crue m'aveugla. J'étais encore debout, vacillant sur mes jambes épuisées par le choc que je venais de subir.
Autour de moi, en moi, le silence s'était fait.
Une profonde entaille s'étirait sur ma jambe ensanglantée.
Mais ce ne fut pas ce que je vis tout de suite.
Ce que je vis tout de suite, ce fut Hector, à terre.
Je l'avais vaincu.
VOUS LISEZ
Les Origines : Ylan
FantasíaCe jour-là, tout en moi est mort. Cette haine qui m'avait servi de pilier, cette jalousie sur laquelle je m'étais construit, cette rancœur qui me maintenait en vie, tout a disparu au moment où mes pulsions ont pris le dessus. A ce moment-là, Ylan es...